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moitié. En supposant que nos ingénieurs s’appliquent rigoureusement à construire dans un style simple et nullement monumental, il n’est ni impossible, ni improbable que, tout en payant le fer plus cher que leurs émules d’Angleterre, ils parviennent à restreindre la dépense à 1,500,000 fr., par exemple ; mais il serait imprudent d’espérer un plus fort rabais, quelles que puissent être les promesses des devis. La réputation de véracité des devis n’est pas plus proverbiale que celle des bulletins ; et ce qui se passe quotidiennement sous nos yeux prouve qu’en cela la voix publique n’a pas tort.

À raison de 1,500,000 fr. par lieue, la dépense totale du réseau de 1024 lieues serait de 1,536,000,000 fr.

Cette somme est plus que considérable ; elle est effrayante. Il y aurait beaucoup d’inconvéniens à ce que le gouvernement, cédant au louable désir de donner satisfaction à l’impatience du public qui veut jouir des chemins de fer, cherchât à se la procurer dans un bref délai, ou, ce qui, sous beaucoup de rapports, et surtout sous celui du bon aménagement de la fortune publique, revient à peu près au même, à la faire consacrer aux chemins de fer par les compagnies. Distraire de propos délibéré une pareille masse de fonds des autres usages auxquels l’industrie applique le capital national,ce serait vouloir plonger le pays dans une perturbation commerciale semblable à celle dont l’Amérique a récemment été la victime. En fait de capitaux, quoique ce soit une matière naturellement douée d’une certaine élasticité, tout déplacement qui n’est pas ménagé est dangereux. Là aussi se vérifie cette loi de la mécanique rationnelle que tout choc brusque occasionne une perte de forces vives.

L’un des moyens d’obvier à cette difficulté consisterait à diminuer les frais de premier établissement des chemins de fer, en adoptant un autre système de construction. Il y a donc lieu de se demander jusqu’à quel point il convient que nous nous tenions scrupuleusement dans la ligne des erremens anglais, nous qui avons un territoire beaucoup plus vaste que nos voisins d’outre-Manche et dont par conséquent les lignes seraient beaucoup plus longues ; nous qui disposons de beaucoup moins de capitaux ; nous qui aurons à transporter une population beaucoup moins riche, et par conséquent hors d’état de payer les places aux prix qu’il faut cependant établir lorsque la mise de fonds a été extrêmement forte, si l’on veut que les chemins de fer s’entretiennent eux-mêmes et donnent quelque revenu. Ne conviendrait-il pas de pencher un peu vers le système de construction des Américains, système qui, comme l’atteste l’arbitre suprême de ce