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ont suivi leurs maîtres, et le pouvoir a été conduit à attenter à la liberté des uns, parce qu’il avait proscrit les autres. Rien n’est logique comme la violence ; elle crée, même pour les ames droites, les plus inflexibles nécessités.

Ainsi, sans s’exagérer la portée de ces nombreux symptômes, comment ne pas voir que l’on touche partout en Allemagne, non à de vives douleurs, mais à ces indéfinissables malaises qu’engendrent l’incertitude des doctrines et la fausseté de toutes les positions ? Ce pays porte plus marqué qu’aucun autre le caractère de transition inhérent à ce siècle et aux établissemens qu’il a fondés. Rien de fixe, ni dans le droit constitutionnel, ni dans les rapports des peuples avec leurs gouvernemens, ni dans ceux de ces gouvernemens entre eux. D’un côté, des souverainetés indépendantes ; de l’autre, une diète intervenant arbitrairement entre les peuples et les rois, abaissant ceux-ci au rôle d’exécuteurs obligés de ses mandats de police. Au sein de cette confédération, deux tendances constamment hostiles, que des appréhensions communes maintiennent seules dans un concert apparent. Entre ces deux centres d’attraction, de petits états hésitant dans leur attitude, et pressentant l’absorption qui les menace, sans se sentir en mesure d’y échapper ; des gouvernemens voulant défendre leur souveraineté intérieure contre les empiétemens d’une autorité étrangère, en même temps qu’ils ont besoin de la protection de celle-ci contre les prétentions de leurs assemblées représentatives ; des rêves d’unité et des incompatibilités profondes ; des idées libérales et des habitudes obséquieuses ; partout, enfin, des tiraillemens qui ne laissent vraiment le droit d’insulter aux misères de personne.

Les nôtres sont grandes, qui en doute ? Mais qu’en face de cette monarchie parlementaire, dont l’Europe se complaît à tracer de si sombres tableaux dans ses journaux et jusque dans les nôtres, elle ne se pose pas trop fièrement comme un corps compacte et homogène. Nous étalons nos maux, l’Europe cache les siens, voilà la principale différence ; et si la modestie va bien aujourd’hui, comme je le crois, à la France constitutionnelle, l’Europe peut, à coup sûr, en prendre aussi sa part. Il ne siérait à aucun gouvernement d’imiter les gens qui chantent parce qu’ils ont peur.


Louis de Carné.