pris de ses égaux. Tout le code répressif de New-Lanark était renfermé dans cette pensée. Quelques contremaîtres, hommes sages et probes, formés sous les yeux et par les soins de M. Owen, furent les instrumens d’application : ils composèrent dans la colonie une hiérarchie imperceptible, qui, s’inspirant du chef, irradiait ensuite jusque dans les moindres ménages d’ouvriers pour y féconder les germes d’ordre, de bonté et de vertu. La police de New-Lanark se faisait ainsi de travailleur à travailleur, sans dureté, sans bassesse, sans espionnage, et la moralité étant devenue la règle, le vice dut dépérir peu à peu dans l’abandon et dans l’isolement. Le coupable, au milieu de cette société normale, devenait, on le devine, une sorte de paria, un être déclassé, qui ne sachant où rattacher ses mauvais desseins, était conduit nécessairement de l’impuissance au repentir. Aucun instinct dépravé ne se déroba à ce traitement doux et rationnel : la manie des disputes céda comme avait cédé le vol ; les dissensions religieuses, les liaisons irrégulières entre les sexes s’effacèrent aussi peu à peu et quittèrent New-Lanark. L’ivrognerie seule résista plus long-temps, les cabaretiers combattant pour elle au moins autant que les buveurs. Toute mesure de rigueur et d’autorité répugnant à M. Owen, il prit le parti d’entrer en lice, à armes égales, avec les débitans de spiritueux. Il ouvrit, pour son compte, un magasin de détail où le wiskey se vendait à trente pour cent au-dessous du cours, et il demeura de la sorte, en fort peu de temps, maître du monopole de la consommation. Dès-lors l’ivrognerie fut surveillée, mise à l’index de la population sobre, et quand le mépris vint la frapper à son tour, elle périt. Ainsi, sans moyens coërcitifs, sans prison, sans juges, sans constables, M. Owen avait, comme par magie, improvisé une société que maintenaient dans la ligne du devoir le seul lien d’un contentement et d’une confiance réciproques, le désir de vivre en harmonie avec un milieu juste et moral, enfin les joies pures qui résultent de la seule pratique du bien.
Une réforme aussi clairvoyante dans son but, aussi décisive dans son action, ne provenait pas uniquement du grand sens expérimental de M. Owen : elle avait pris sa source dans un système complet qui peut s’appeler le gouvernement par le cœur et par la raison. « L’homme est bon, sortant des mains de Dieu, » s’était dit Jean-Jacques. « L’homme n’est ni bon, ni mauvais en naissant, se dit M. Owen : il est le jouet des circonstances dont on l’entoure : il devient mauvais, si elles sont mauvaises, bon si elles sont bonnes. » Une bienveillance absolue, sans restrictions et sans limites, une égalité tolérante, une grande