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mirables communications, témoin la route d’Insprück à Milan, et celle d’Insprück à Vienne ; mais l’esprit raide et épais de ses employés allemands, la corruption et la vénalité de ses employés italiens, l’immobilité de ses nombreux factionnaires campés au coin des rues comme des bornes vivantes, l’inquisition tracassière de ses agens pour un passeport, pour une lettre, pour un écrit insignifiant, suffisent pour rendre complètement inutiles et ses sacrifices d’argent et l’honnêteté habituelle de ses intentions.

Les moustaches du barbare sont au fait plus terribles à voir que son joug n’est dur à supporter. Les Italiens ont connu une autre domination étrangère, qui n’était pas assurément de meilleure composition sur les intérêts les plus importans. Aussi, la haine profonde de l’Italien pour tout pouvoir allemand tient-elle moins aux actes de l’administration proprement dite qu’aux souvenirs historiques d’une part, qu’à une incurable incompatibilité de nature, de l’autre.

Le Français n’en ferait pas plus pour l’Italie que l’Autrichien, qu’il serait probablement adoré au-delà des Alpes. C’est qu’en faisant à peu près les mêmes choses, il les ferait autrement, souvent avec naturel, quelquefois avec charlatanisme ; mais sans cette lourdeur officielle qui constitue le génie autrichien, comme la subtilité constituait le génie du bas empire. Puis un gouvernement français saurait se faire louer à propos ; il dépenserait quelque argent à acheter des tableaux modernes, fussent même de détestables croûtes ; il paierait quelques mauvais poètes, et ferait faire des articles de journaux ; il laisserait surtout respirer l’italien que le flegme germanique étouffe ; il lui dirait qu’il est le peuple le plus grand, le plus libre et le plus heureux du monde, et l’Italien le croirait. C’est que le Français est doué de cette admirable force d’assimilation dont l’Allemand est absolument dépourvu, et que les conquêtes se consolident moins par la puissance des intérêts que par les sympathies du caractère.

Les sentimens les moins définissables sont par cela même les plus persistans. Quelques efforts que fasse l’Autriche, quelques fautes qu’ait faites la France, rien n’empêchera que les Français ne soient reçus avec bonheur dans un pays qui a eu vingt-cinq ans pour oublier leurs exigences. L’impassibilité de l’officier autrichien, engoncé dans son hausse-col et méditant sur sa consigne, rappelle et conserve le souvenir de cette autre domination qui, pour prix du sang abondamment versé et des trésors lestement enlevés, fondait au moins des monumens d’art, faisait chanter les poètes, portait le code civil aux magistrats, distribuait des croix d’honneur aux militaires, domination acceptée par la famille, par les salons, par la société tout entière, aux jouissances de laquelle elle savait étroitement s’associer.

En cas de guerre, la France agirait sur l’Allemagne par ses idées, sur l’Italie par son génie même, par l’autorité du gouvernement représentatif au-delà du Rhin, par l’attractive puissance de ses mœurs au-delà des Alpes.

Si l’Italie est la plus vulnérable, ce n’est pas, on le sait, la seule partie faible de cet empire que les rivalités politiques s’attachent, au sein même de