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de son système. Pour la date des idées, c’est pourtant un contemporain de Fourier et de Saint-Simon, car bien que la manifestation première de ses vues ne remonte qu’à 1811 et à un discours public prononcé à Glasgow, dès avant cette époque, M. Owen avait énoncé des théories d’une hardiesse incontestable et réalisé des faits d’une importance plus décisive encore.

Né en 1771 à Newton, dans le Montgomeryshire, M. Owen fut livré de très bonne heure à un apprentissage commercial, qui ne laissa arriver jusqu’à lui que d’une manière incomplète les bienfaits de l’éducation lettrée. Il fut donc ainsi, dans la carrière de la science, le fils de ses œuvres, et si quelques ellipses accusent cette insuffisance d’études, le ton général de ses écrits et les investigations qu’ils supposent, attestent avec quelle patiente ardeur il chercha à combler cette lacune fondamentale. Peu d’auteurs le frappèrent, mais quand il en eut rencontré de sympathiques à ses vues, il s’en nourrit tellement, qu’il parvint à se les assimiler. C’est ainsi que l’on retrouve çà et là, dans ses travaux, des pages entières dérobées au Contrat Social ; c’est ainsi qu’il exhuma et fit revivre un écrivain oublié du xvie siècle, John Bellers, économiste anglais, auquel il emprunta quelques élémens de sa théorie. Comme complémens à ces lectures, il adopta les ouvrages qui lui semblaient le plus profondément empreints de cette onction touchante et de cette inaltérable bonté qui sont l’essence même de son caractère.

C’était à New-Lanark que cette belle ame devait faire la première épreuve de ses facultés bienveillantes et douces. Mais auparavant M. Owen avait eu à parcourir les divers échelons de la hiérarchie industrielle. Simple commis à Londres, à Stamfort dans le Lincolnshire et à Northwich, il était devenu plus tard, à Manchester, l’associé de riches filateurs, avec lesquels il entreprit cette grande spéculation de New-Lanark, qui devait donner de beaux et positifs résultats. New-Lanark était un village manufacturier que M. Dale, depuis beau-père de M. Owen, avait créé, dès 1784, dans un comté écossais, sur les bords romantiques de la Clyde. À tout prendre, le pays offrait peu d’avantages pour une fondation pareille : le territoire était pauvre et mal cultivé, la population rare et misérable, les voies de communication clairsemées et horriblement entretenues. La seule raison qui détermina M. Dale fut une magnifique chute d’eau que présente sur ce point la rivière écossaise. La découverte de Watt n’avait pas encore complété celle d’Arkwright, et les puissances hydrauliques constituaient alors un inappréciable élément de richesse. M. Dale