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On ajoute : M. Thiers n’est plus aussi absolu sur la question de l’intervention qu’il l’était au 12 janvier dernier. Il trouve qu’on peut temporiser. M. Thiers a donc laissé de côté la grande difficulté de politique extérieure qui le séparait de ce ministère, auquel il tient d’ailleurs par des idées communes, telles que l’amnistie, l’éloignement pour les réactions inutiles, tout ce qui le sépare de M. Guizot. Comment se trouve-t-il donc aujourd’hui si près de M. Guizot, si loin du ministère ? Comment cet esprit, éminemment conciliateur, se laisse-t-il prendre à l’aigreur des doctrinaires, et se peut-il qu’il aille se placer dans des rangs d’où il s’était retiré avec tant de noblesse !

On dit encore : Si M. Barrot se rapproche de M. Thiers, lequel se rapproche de M. Guizot, c’est que M. Barrot se fait homme d’affaires. Il se décide à devenir un jour ministre, voyant bien enfin que la charte n’a pas assigné de place pour les tribuns dans notre organisation. Mais pour être apte à faire un ministre, il faut avoir été ministériel, et M. Barrot soutiendra le gouvernement quand M. Thiers sera rentré aux affaires. Ce sont là les paroles des amis de M. Barrot. C’est-à-dire, selon eux, que le ministère de M. Thiers ne serait que la préface de celui de M. Barrot ! M. Thiers l’entend-il ainsi ?

Tout ceci ne peut être sérieux. M. Thiers a trop de sens, trop de cet esprit de divination qui fait les hommes d’état, pour ne pas s’apercevoir bientôt que ses meilleurs amis ne sont pas ceux qui lui serrent la main à chaque heure du jour. Il s’arrêtera. Arrivé à un but glorieux, il n’entrera pas dans un avenir sans but. Il ne fera pas défaut à la cause des idées justes et sages, qui l’avait conquis au milieu même de l’effervescence de juillet. M. Thiers estime avec raison le succès. Quel rôle jouera-t-il donc, à ses propres yeux, si le succès ne seconde pas les tentatives où l’on voudrait l’entraîner ? Qu’il laisse M. Guizot et ses amis tourner autour du pouvoir, en baissant les yeux, tout en lui jetant chacun sa pierre. M. Thiers doit marcher dans une autre route. Ce n’est ni par la chambre sans la royauté, ni par la royauté sans la chambre, qu’il pourra parvenir à rentrer aux affaires. Il en est sorti constitutionnellement, qu’il y revienne de même. Pour les doctrinaires, il y a un an que le pouvoir les a quittés ; il y a un an juste aussi que la France est tranquille, et qu’elle a vu disparaître cette sorte d’inquiétude sinistre qui descendait du pouvoir sur le pays. On ne parle plus de lois de dénonciation ; le jury se trouve suffisant pour punir les crimes politiques, qu’on ne commet plus ; les lois de septembre contiennent la presse, sans qu’il soit nécessaire d’élever une forteresse dans les mornes de l’île Bourbon pour renfermer les écrivains ; l’activité commerciale se manifeste par une exubérance et des excès que réprimera une surveillance active ; l’annonce d’une bonne nouvelle, d’une grande affaire extérieure heureusement terminée, apparaît de temps en temps au Moniteur, et ajoute à la confiance publique. — Voilà, en effet, de grandes raisons pour demander un changement de ministère !


— La nouvelle tentative que l’auteur d’Ahasvérus vient de faire par la publication de Prométhée, n’est pas moins digne que les premières d’attirer l’at-