Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
REVUE. — CHRONIQUE.

spéciaux, mais est-ce sérieusement qu’on refuse la qualité d’homme politique à M. Molé, qui posait le premier, en 1830, le principe de non-intervention, et le faisait respecter par l’Europe, déjà à demi levée contre nous ? M. Barthe et M. Montalivet ne faisaient-ils pas partie autrefois d’un ministère tout-à-fait politique, qui n’avait malheureusement qu’une tâche politique à remplir, au milieu des violences de l’esprit de parti. Les autres ministres ne sont-ils pas d’anciens députés, des pairs, des publicistes ? Ne sont-ils pas réunis dans un système politique qu’on ne peut nier, puisqu’on le blâme et qu’on le combat ? On a vraiment quelque regret en se voyant forcé de réduire à leur valeur ces imputations, et en songeant à l’aveuglement passionné qu’elles dénotent dans les hommes, d’ailleurs sensés, qui les élèvent.

On écrit aussi que le ministère actuel n’a et ne doit attendre que des échecs législatifs. Mais des projets de loi importans ont été déjà adoptés par la chambre, tandis que le rejet s’est porté sur des propositions individuelles faites par les députés, telles que celles de M. Mercier sur le règlement, de M. de La Rochefoucault sur la législation militaire, de MM. Jobart et Ledéan sur le costume, de M. Jaubert sur les alluvions artificielles, de M. le colonel Garraube sur la pension de la veuve du colonel Combes, de M. Luneau sur les lais et relais de la mer. La seule énumération des lois adoptées indique leur importance, ce sont l’adresse d’abord, la loi de la pension de Mme Damrémont, celles du chemin de fer de Strasbourg à Bâle, des attributions départementales, des tribunaux civils, des fonds secrets, de l’assèchement des mines, des pensions militaires, des aliénés, de l’emprunt grec. Un journal a compté les échecs législatifs essuyés par le fameux ministère du 11 octobre, qui est en ce moment en projet de restauration, ils sont au nombre de dix dans une seule session. Et quels échecs ! l’adresse, réduction des fonds secrets, rejet du traité des États-Unis, refus de la demande de pension pour la veuve Daumesnil, retraite de la loi des attributions municipales, diminution des crédits de la guerre, etc. — On voit qu’en fait d’échecs et de mauvaise fortune, le ministère du 15 avril aurait encore de la marge avant que d’en subir autant que le cabinet du 11 octobre, cabinet tout politique, qui, en effet, n’a pas été très préoccupé des améliorations matérielles.

Si l’on en est encore à élever le doute sur le système politique du ministère actuel, on répondra en deux mots, en disant : la paix au dedans, la paix au dehors, deux choses incompatibles avec le principe de réaction des doctrinaires, et le principe d’intervention du côté gauche, principes qui forment les deux bras de ce corps, dont la tête est on ne sait où, et qu’on nomme la coalition. Mais, dit-on, M. Guizot a renoncé à ses idées violentes. Il ne pense plus qu’on ne puisse absolument gouverner la France sans des lois de rigueur et d’exception. Il serait presque conciliant aujourd’hui ! À ce compte, M. Guizot se serait rapproché du ministère actuel dont l’esprit de conciliation fait le principe. Pourquoi donc voudrait-il le renverser, et d’où vient que ce rapprochement dans les idées, l’ait jeté du côté de la gauche et dans les rangs de la coalition ?