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l’incertitude où on laisserait les rentiers serait pour eux un mal presque aussi grand que l’opération projetée. Le ministère ne s’emparera donc pas de cette complication survenue à la frontière de Belgique, pour combattre la proposition de M. Gouin. Il cherchera loyalement, de bonne foi, avec une ardeur sincère pour le bien public, à la rendre compatible avec les intérêts réels et actuels de l’état ; il s’efforcera d’atténuer, par des mesures bienveillantes, tout ce qu’elle peut avoir de fâcheux pour les rentiers, et pour peu que l’opposition apporte les mêmes sentimens dans la discussion de cette mesure, elle se trouvera faite sans perturbation, à l’époque qu’on jugera la plus favorable. En un mot, l’affaire des rentes sera une affaire toute financière, et si l’opposition contribue à la mener à fin à l’aide de quelques bonnes idées, c’est un succès que ne lui enviera pas le ministère. Mais sont-ce bien là les succès que recherche l’opposition ?

La question des chemins de fer est de même nature, quoiqu’on s’efforce aussi, nous le savons bien, d’en faire une tout autre question. Au sujet des chemins de fer, M. Odilon Barrot, qui est pour les concessions aux compagnies particulières, est tout-à-fait d’accord, nous dit-on, avec M. Thiers, qui est pour l’exécution des travaux par l’état. Voilà qui est édifiant ! Si ces messieurs mettaient seulement la moitié de cette bonne volonté à s’entendre avec le ministère, l’accord serait général et tout-à-fait touchant. M. Guizot s’entend sans doute aussi avec M. Thiers et M. Odilon Barrot, sur la question des chemins de fer, et ce serait vraiment, pour lui, le cas d’émettre sa fameuse opinion sur les affaires d’Espagne : « On peut prendre l’une ou l’autre voie. » Au surplus, la grande question n’est pas de s’entendre pour faire des chemins de fer, mais de s’entendre pour que le ministère n’en fasse pas ; voilà tout l’esprit de la ligue.

La chambre ne comprend rien aux passions qui s’agitent autour d’elle. Elle a vu un ministère débuter par la plus grande mesure politique de ce temps-ci, l’amnistie, continuer sa marche en se signalant par une grande expédition militaire, par de grands travaux d’utilité publique ; elle le voit traiter au dehors des plus importans intérêts, terminer des difficultés de vingt ans, comme était celle de Haïti, appeler la discussion publique sur tout ce qu’il y a de vital en France, les fleuves, les routes, les canaux ; améliorer la législation en ce qui concerne les faillites, les tribunaux civils, les conseils-généraux, les conseils d’administration, les aliénés ; et au milieu même de toutes les questions dont le ministère la saisit, elle s’entend dire que c’est là une administration sans capacité et sans force. Ces accusations varient même d’une étrange manière. Pour le Courrier Français, c’est un cabinet ignorant, impropre à traiter toute matière ; M. Martin du Nord n’entend rien aux travaux publics, M. de Montalivet aux conseils-généraux, M. Barthe aux justices de paix, M. de Salvandy à l’étude et à la science, le général Bernard à l’art militaire et à l’organisation des armées. Pour le Constitutionnel, le ministère n’est pas un ministère politique, c’est convenu : on ne peut le regarder que comme une réunion d’hommes spéciaux. Sans doute ce sont là des hommes