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de malheureux créanciers, ruinés par l’emprunt, dignes de toute leur compassion, et les intérêts, non moins dignes de pitié, de débiteurs plus misérables encore, réduits à une impuissance avérée, dont ils avaient pu juger eux-mêmes à la vue du pays. La France a déjà recueilli le fruit de sa modération. Les feuilles politiques d’Haïti, arrivées avec le traité, manifestent la joie et l’enthousiasme excités par la conclusion du traité du 15 février, et tout permet d’espérer que de bonnes et actives relations commerciales ne tarderont pas à s’ouvrir avec notre ancienne colonie. Depuis vingt-cinq ans, le traité définitif avec Haïti avait été tenté sans succès ; le cabinet actuel n’a pas hésité à aborder cette tâche difficile, entreprise par d’autres ministères, et il l’a menée à fin. Ce cabinet, si inhabile, est encore sorti de cette difficulté, devant laquelle avaient échoué ses prédécesseurs, ainsi qu’il était arrivé pour l’amnistie, les élections et l’expédition de Constantine. Tous ces actes lui compteront peut-être bien pour un discours de tribune, et sont d’une éloquence qui parle assez haut.

Le projet de loi relatif à la réalisation de la garantie donnée par la France pour la négociation de l’emprunt de la Grèce, a été voté par la chambre des députés à une immense majorité. M. Molé a eu à essuyer, dans cette discussion, les reproches de l’opposition de gauche, qui s’adressaient en réalité à ses prédécesseurs, M. de Broglie et M. Thiers, mais qui n’étaient pas mérités, et que le ministre a pris généreusement pour son compte, afin de les mieux repousser. M. Auguis et M. Mauguin, les adversaires du gouvernement, se trouvaient ici dans le cas de presque tous les orateurs de la chambre qui entrent dans le détail des affaires extérieures. Leur argumentation reposait sur des erreurs matérielles, sur l’ignorance des faits. Ainsi M. Auguis ignorait que les recettes de la Grèce se sont accrues de près de cinq millions depuis cinq ans, et c’est en parlant du budget de 1833, sans tenir compte des budgets subséquens, qu’il s’efforçait de démontrer l’insolvabilité de la Grèce. M. Mauguin, qui parle toujours de prédilection sur les affaires étrangères, s’opposait a l’adoption du projet de loi par des causes d’une autre nature. Il s’attachait peu à rechercher la solvabilité ou la non-solvabilité de la Grèce. L’influence de la Russie en Grèce, influence qu’on ne peut nier, dit-il, devait suffire pour faire rejeter le projet. Quel emploi la Grèce ferait-elle des fonds qu’on allait lui voter ? Ne s’en servirait-elle pas pour payer à la Turquie les 12 millions qu’elle lui doit ? Et ces 12 millions n’iraient-ils pas du trésor de la Porte dans celui du czar ? Or, il n’était question que de mettre un terme à une irrégularité financière ; il s’agissait seulement de ne plus émettre des bons de la troisième série de l’emprunt, pour assurer le service des intérêts des deux premières séries, nécessité à laquelle avait été réduit le ministère du 22 février. Le ministère ne venait pas mettre en question la garantie de l’emprunt grec, que nous avons donnée solennellement, il demandait à la chambre de régulariser le mode du paiement, et c’est ce que la chambre a parfaitement compris, malgré les écarts de certains orateurs. Quant aux questions politiques qui s’agitent en Grèce, la France n’aurait qu’à gagner en montrant au grand jour ses né-