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CONGRÈS DE VÉRONE.

et agit comme l’autre quand il triomphe. Ainsi vont une suite de rencontres sans résultats. Si les combattans ne prennent pas une ville aujourd’hui, ils la prendront demain, après-demain, dans dix ans, ou ne la prendront pas du tout ; qu’importe ? Les hidalgos disent qu’ils ont mis six cents ans à chasser les Maures.

Ils admirent trop leur longanimité ; la patience, transmise de génération en génération, finit par n’être plus qu’un bouclier de famille qui ne protège rien, et qui sert seulement d’antique parure à des malheurs héréditaires. L’Espagne décrépite se croit toujours invulnérable, comme l’ancien solitaire du couvent de Saint-Martin, entre Sagonte et Carthagène : au dire de Grégoire de Tours, les soldats du roi Leuvielde trouvèrent le monastère abandonné, excepté de l’abbé tout courbé de vieillesse et néanmoins fort droit en vertu et en sainteté. Un soldat voulut lui couper la tête ; mais ce soldat tomba à la renverse et expira sur la place.

Les hommes politiques de cette nation partagent les défauts du guerrier : dans les circonstances les plus urgentes, ils s’occupent d’insignifiantes mesures, prononcent des oraisons puériles, mettent tout en pièces dans leurs harangues et ne les font suivre d’aucune action. Est-ce donc qu’ils sont stupides ou lâches ? non ; ils sont Espagnols : ils ne sont point frappés des choses comme vous l’êtes ; ils ne les voient pas sous le même jour ; ils laissent le temps dénouer l’évènement qu’ils ne sont point pressés de voir finir ; ils transmettent leur vie à leurs fils sans pusillanimité et sans regrets. Le fils, à son tour, se conduit de même que le père ; dans quelques centaines d’années se terminera, à la satisfaction des vivans, l’évènement que les morts leur ont légué, et qui, chez un autre peuple, aurait été décidé dans huit jours.

Que si, dans les troubles qui continuent aujourd’hui, les masses semblent agir d’après des principes moins individuels, cela prouve seulement que l’esprit général du siècle commence à ronger le caractère particulier ; il est loin de l’avoir dommageablement entamé. L’indifférence de la foule est derrière ces évènemens qui, de loin, font tant de bruit. Quand l’émeute ou la faction arrive, on ferme sa porte et on la laisse passer comme une nuée de sauterelles. On n’est guère pour personne : don Carlos ne peut prendre une ville, Christine ne peut réunir les campagnes. Les Espagnols d’ailleurs se sont guerroyés de tout temps pour des rois compétiteurs. La guerre finie, chacun, sans être changé, retourne à l’obéissance ou plutôt à sa vie habituelle ; celle-ci se conserve entière, plus que dans d’autres pays,