Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
REVUE DES DEUX MONDES.

L’anatomie ne fait que disséquer, mais elle fournit à l’intelligence de nombreuses occasions de comparer la vie à la mort, les organes isolés aux organes réunis, ce qui n’est plus à ce qui n’est pas encore. « Elle nous laisse, dit Goëthe, plus que toute autre étude, plonger un regard scrutateur dans la profondeur de la nature. » En effet, si l’observation directe des phénomènes nous révèle des combinaisons, des formes, des existences, que jamais nous n’aurions imaginées ; si, comme je l’ai dit plus haut, la réalité dépasse toujours infiniment toutes nos conceptions ; si l’aspect des choses elles-mêmes ne peut jamais être deviné, à combien plus forte raison les lois qui y président sont-elles au-dessus de toutes nos conjectures, à combien plus forte raison veulent-elles être étudiées par une patience investigatrice et reconnues à force de travail et de génie, et non à force d’imagination et d’hypothèses ! Mais aussi autant le monde prend, aux yeux des générations qui l’étudient, une apparence plus grande, plus splendide, plus merveilleuse, autant les lois qui le régissent, dans le peu que la science commence à les entrevoir, se manifestent avec une sanction plus universelle, avec une puissance plus vaste, avec une régularité plus dominatrice. C’est, pour parler le langage de Bossuet, contempler les lois éternelles d’où les nôtres sont dérivées, perdre la trace de nos faibles distinctions dans une simple et claire vision, et adorer la nature en qualité d’harmonie et de règle.

En commençant, j’ai rappelé la magnificence du spectacle du ciel, et combien les yeux se plaisent à considérer ces étoiles innombrables, ces globes semés dans l’espace, ces îles de lumière, comme dit Byron, dont se pare la nuit. Je termine en rappelant que, pour les yeux de l’intelligence, le spectacle des lois mystérieuses et irrésistibles qui gouvernent les choses n’est ni moins splendide ni moins attrayant. Le poète latin, quand il dissipe l’obscurité qui enveloppe son héros, lui fait voir, au milieu du tumulte d’une ville qui s’abîme, les formes redoutables des divinités qui président à ce grand changement (numina magna deúm). Ainsi, au milieu du tumulte de la vie qui arrive et de la vie qui s’en va, au milieu de l’évolution perpétuelle des êtres apparaissent les lois redoutables que l’esprit humain ne peut contempler ni sans effroi ni sans ravissement.


E. Littré.