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cinq cents ayant été condamnés à une déportation arbitraire, M. Rœderer fit un appel aux pensées de douceur et de clémence politiques du premier consul, et il écrivit dans le Journal de Paris : — « Bonaparte a dit plusieurs fois avant le 18 brumaire : La révolution qui se prépare sera le contraire des autres ; elles n’entraînera pas une proscription et elle en fera cesser plusieurs. » Ces paroles furent comprises, et cinq jours après l’arrêté de déportation fut révoqué.

M. Rœderer concourut avec non moins de succès à l’abolition des mesures de guerre et de rigueur, précédemment adoptées contre les émigrés. Il eut une grande part à la législation qui les rayait avec prudence de la liste d’exil. Ainsi, il contribua à faire conserver aux uns leur patrie, et à la faire rendre aux autres. Voilà son rôle comme conciliateur ; voici maintenant son œuvre comme organisateur. Il s’occupa des lois organiques destinées à mettre la constitution en vigueur, il rédigea le réglement qui fixait les rapports entre le conseil d’état, le tribunal et le corps législatif. Le conseil d’état n’était pas à cette époque le simple régulateur de la machine administrative ; il préparait encore les lois et inspirait le gouvernement. M. Rœderer, qui en était l’un des principaux chefs, rédigea et défendit devant le corps législatif, les trois grandes lois sur l’établissement des préfectures, sur la formation de la liste des notabilités et sur la fondation de la légion d’honneur. Tout le monde connaît la dernière de ces lois, destinée à unir dans les mêmes récompenses les divers services rendus à l’état. La seconde devait concilier le système électoral et l’action de l’autorité exécutive, en faisant concourir la nation et le gouvernement au choix des divers fonctionnaires ; elle n’était pas assez naturelle et elle était trop compliquée. Décourageant l’élection publique et gênant le gouvernement, elle n’eut ni durée, ni succès. La première fut la plus importante ; elle organisa l’administration de la France. M. Rœderer montra une grande supériorité dans la conception et la défense de cette loi qui fonda les préfectures et sous-préfectures, qui établit les arrondissemens territoriaux actuels, un peu différens de ceux que l’assemblée constituante avait tracés dans les districts ; qui sépara l’action et la délibération, jusqu’alors confondues ensemble ; qui plaça l’action dans un préfet et la délibération dans un conseil ; qui donna ainsi à la première l’unité et la promptitude, à la seconde la lenteur et la maturité ; qui fixa avec précision les objets relevant de l’une ou de l’autre ; qui, à côté d’elles, plaça un tribunal contentieux pour les matières dans lesquelles l’état et les citoyens pouvaient ne pas s’entendre, et qui fonda ainsi le mécanisme simplifié de l’administration