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RŒDERER.

douanes jusqu’aux frontières ; il prouva l’urgence et l’utilité d’une pareille mesure. Cet ouvrage fut un véritable traité sur le commerce intérieur et sur la théorie des douanes. M. Rœderer montra que la Hollande prospérait avec un tarif de droits très rigoureux, mais uniquement payés à la frontière ; que le fisc anglais retirait trois fois plus de sa douane unique que le fisc français de toutes les siennes ; que l’Espagne devait une partie de sa ruine à l’alcavada, impôt perçu plusieurs fois sur la même marchandise, comme l’était l’impôt de traite en France. Il concluait avec Smith qu’un grand pays est le marché le plus avantageux pour la plus grande partie de ses productions, et il ajoutait spirituellement, avec Swift, que dans l’arithmétique des douanes deux et deux ne font pas quatre, mais souvent ne font qu’un. M. Rœderer ne parvint pas alors à son but, mais il en rapprocha tout le monde.

Une année après ce premier ouvrage, M. Rœderer en publia un second, plus important encore, sur les états-généraux. La réorganisation future du pays était alors au concours. Après s’être vainement adressé à tous les patriciens financiers pour avoir de l’argent, le gouvernement consultait tous les théoriciens politiques pour savoir quelle forme il conviendrait de donner aux états-généraux, devenus sa dernière ressource pécuniaire. Mais si la royauté en attendait de l’argent, la nation en attendait des lois, et tout le parti philosophique une révolution. C’est sous ce dernier point de vue, que M. Rœderer examina la question dans son écrit sur la Députation aux états-généraux. « Depuis quarante années, dit-il, cent mille Français s’entretiennent avec Locke, Rousseau, Montesquieu ; chaque jour ils reçoivent d’eux de grandes leçons sur les droits et les devoirs des hommes en société. Le moment de les mettre en pratique est arrivé. »

M. Rœderer exposait les opinions les plus hardies sur la forme et les pouvoirs des états-généraux ; il repoussait l’ancien mode d’élection par classes, et au lieu de députés des trois ordres, il ne voulait que des députés de la nation. Il demandait une assemblée unique, dont les membres seraient élus par les suffrages du plus grand nombre, dont les pouvoirs seraient souverains, et dont les décisions seraient prises à la pluralité des voix, qui, disait-il, bannit seule l’arbitraire des lois comme les lois bannissent seules l’arbitraire du gouvernement.

Un an s’était à peine écoulé depuis la publication de cet ouvrage que la distinction des ordres contre laquelle M. Rœderer s’était élevé, était abolie ; que la souveraineté populaire qu’il avait réclamée, était consacrée ; et que, conformément à ce qu’il avait soutenu, le droit