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RŒDERER.

plus de la matière, mais de l’humanité même, étaient naturellement appelées à suivre et à couronner toutes les autres.

Le xviiie siècle crut, cependant, les avoir découvertes, et il en confia le dépôt à votre Académie, qui fut une de ses dernières créations. Ce siècle éminemment analytique, après avoir agrandi les sciences mathématiques, étendu et renouvelé les sciences naturelles, refait les sciences physiques, aspira à fonder les sciences morales. Il eut la belle prétention de tout juger selon la raison et de tout arranger selon la justice. Il recommença les théories philosophiques, chercha le fondement terrestre de la morale, trouva les principes de l’économie politique, remania hardiment la société humaine, et plaça sur d’autres bases le droit de l’individu, la puissance du souverain et l’organisation de l’état. On peut, on dit même se tromper souvent en se livrant à des essais aussi hardis et aussi nombreux. Aussi, en négligeant trop, dans ses conclusions précipitées, l’élément de l’histoire et l’expérience du genre humain, le xviiie siècle tomba-t-il dans de graves erreurs. Mais il donna au monde quelques principes désormais impérissables : il proclama l’indépendance entière de la raison, il fonda l’ordre social sur l’utilité réciproque, il consacra l’égalité civile comme le dogme principal de la loi, et soutint le progrès successif de l’espèce humaine qui avance toujours, même en paraissant s’arrêter quelquefois. Quant à ses erreurs, le temps en a déjà emporté la plus grande partie avec lui, et le reste aura le même sort. Le monde ne demeure jamais long-temps privé des vérités qui lui sont nécessaires ; et dans sa marche admirable vers des destinées toujours plus complètes, il ne tarde pas à recouvrer ce qu’il peut avoir perdu.

La plupart des hommes de ce siècle mémorable ont appliqué, en matière politique surtout, la science aussitôt après l’avoir découverte. Ils ne sont pas seulement des savans, ils sont des hommes d’état. Leur vie se partage entre les recherches de la pensée et les vicissitudes de l’action. Leurs expériences se font sur les hommes dans le grand amphithéâtre du monde et au milieu même des révolutions. L’histoire de leurs travaux ne peut pas se séparer de celle de leur pays. C’est à cette classe de savans qu’appartient M. Rœderer : penseur, écrivain, législateur, ministre, il a éprouvé les plaisirs purs de l’intelligence et les jouissances mélangées de l’ambition ; sa vie est un composé d’idées et d’évènemens, de livres et d’agitations, de grands travaux dont nous retrouverons les traces vivantes dans l’organisation actuelle de notre société, et de tous les incidens d’une révolution dont il a vu le commencement et la fin, et dans laquelle il a souvent figuré comme un des principaux acteurs.