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DES CHEMINS DE FER.

Amérique, je n’ai pas entendu parler d’un seul évènement funeste dont aient été victimes les milliers de personnes qui jour et nuit montent et descendent l’Hudson en bateaux à vapeur, ou qui, avec leur aide, sillonnent continuellement la baie de Chesapeake. Un incendie a coûté la vie à deux ou trois personnes sur la Delaware, et c’est le seul accident qu’aient éprouvé à ma connaissance les bateaux à vapeur de l’est de l’Amérique septentrionale. En France, les journaux nous annoncent fréquemment que telle ou telle diligence a versé, que tant de voyageurs ont été tués ou grièvement blessés, tant d’autres contusionnés ; il est extrêmement rare qu’ils nous racontent quelque désastre subi par les voyageurs qui se confient aux bateaux à vapeur, et qu’ils aient à maudire l’invention de Fulton. Les lamentables et innombrables catastrophes dont ont été témoins le Mississipi et les fleuves ses tributaires, ont répandu beaucoup d’alarmes au sujet des bateaux à vapeur, et les font considérer comme un objet d’effroi ; mais ces douloureux évènemens doivent être imputés aux hommes et non à l’essence même des choses. Les explosions de machines, si fréquentes sur ces bateaux des États de l’ouest de l’Union américaine, proviennent de la maladresse des mécaniciens, de la négligence des chauffeurs et de la mauvaise confection des machines. Les incendies qui y éclatent souvent aussi, sont dus à l’incurie des capitaines et à l’extrême imprudence des passagers[1]. Mais ces accidens, qui ont coûté la vie quelquefois à des centaines de personnes, sont inconnus même sur le Mississipi, à bord des bateaux très bien commandés, là où les armateurs ne cherchent pas à faire d’économie sur le prix des mécanismes et sur le salaire des mécaniciens et de l’équipage. Dans la vallée de Mississipi et de l’Ohio, les voyageurs et les négocians donnent la preuve de la sécurité qu’offrent certains bateaux d’élite, par l’empressement avec lequel ils les recherchent pour leur confier leurs personnes ou leurs marchandises ; à ce suffrage du public, les compagnies d’assurance joignent hautement le leur, comme l’attestent les primes relativement modérées qu’elles demandent pour les objets chargés à bord de ces bateaux privilégiés ; elles portent même leur

  1. En matière d’incendie, les Américains sont d’une insouciance unique, aussi bien dans leurs maisons de New-York que sur leurs steamboats du Mississipi. On n’a pas idée de la fréquence et de l’étendue des incendies aux États-Unis. À New-York et à Philadelphie, il se passe rarement un jour sans que l’on sonne la cloche d’alarme. Sur les bateaux à vapeur, les Américains fument nonchalamment au milieu des balles de coton à demi ouvertes dont ces navires sont comblés ; ils embarquent de la poudre sans plus de soin que si c’était du maïs ou du bœuf salé, et ils laissent tranquillement des objets empaquetés dans de la paille à portée du torrent d’étincelles que vomissent les gueules des cheminées.