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les principautés et les duchés entre lesquels est maintenant répartie la population de l’Europe. C’est un résultat que le présent autorise à prévoir ; c’est un pressentiment que le passé légitime car que sont nos grandes monarchies, comparées à l’empire romain, sous le rapport de leur superficie habitable ? Que sont-elles en population, à côté des trois cent soixante millions de sujets que compte le céleste empire ? Et si cette révolution s’accomplissait, les amis de l’humanité auraient-ils à s’en plaindre ou devraient-ils s’en applaudir ? Est-il déraisonnable de penser que les relations des peuples et des hommes entre eux deviendraient plus fécondes à mesure qu’elles gagneraient en fréquence et en largeur ?

Cette civilisation nouvelle que seuls, d’abord, quelques hommes supérieurs avaient pressentie, lorsqu’ils laissaient courir celle que Montaigne appelait la folle du logis, folle qui, toute folle qu’elle est, a autant que les sages le don de lire dans l’avenir, ce nouvel équilibre politique et social qui, maintenant, commence à préoccuper les hommes d’état, n’auront pas d’agent matériel plus usuel, plus puissant que les chemins de fer. Pour préparer ce novus ordo et pour le maintenir, aucun instrument matériel plus efficace ne sera mis à la portée du genre humain.

Aujourd’hui, en France et généralement en Europe, l’Angleterre exceptée, la vitesse moyenne des voitures publiques est de 2 lieues de poste à l’heure. La malle-poste, qui ne transporte qu’un très petit nombre de voyageurs, atteint tout au plus, chez nous, la vitesse de 3 lieues et demie. En poste, on ne fait guère que 3 lieues à l’heure, et c’est un mode de transport qui est à l’usage d’une imperceptible minorité de privilégiés. Il faut qu’un chemin de fer soit grossièrement établi, pour que l’on ne puisse y circuler avec une vitesse moyenne de 6 lieues à l’heure, c’est-à-dire deux fois plus grande que celle de nos diligences. À ce compte, au moyen des chemins de fer, un pays, trois fois plus long et trois fois plus large que la France, et par conséquent neuf fois plus vaste, se trouverait, sous le rapport des communications et pour les relations des hommes entre eux, dans la même situation que la France actuelle, dépourvue de chemins de fer. En supposant une vitesse de 10 lieues à l’heure, c’est-à-dire quintuple de celle des diligences ordinaires, le rapport d’un à neuf se change en celui de un à vingt-cinq ; le rapprochement des hommes et des choses s’accélère alors dans la même proportion, c’est-à-dire qu’avec des chemins de fer de 10 lieues à l’heure, un territoire vingt-cinq fois plus grand que la France ou quatre fois et