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REVUE DES DEUX MONDES.

Nous perdons le respect qu’on doit à la beauté,
Et nos plaisirs bruyans font fuir la volupté.

ix.

Tant que régna chez nous le menuet gothique,
D’observer la mesure on se souvint encor ;
Nos pères la gardaient aux jours de thermidor
Lorsqu’au bruit des canons dansait la république,
Lorsque la Tallien, soulevant sa tunique,
Faisait de ses pieds nus craquer les anneaux d’or.

x.

Autres temps, autres mœurs ; le rhythme et la cadence
Ont suivi les hasards et la commune loi.
Pendant que l’univers ligué contre la France
S’épuisait de fatigue à lui donner un roi,
La Valse d’un coup d’aile a détrôné la danse.
Si quelqu’un s’en est plaint, certes, ce n’est pas moi.

xi.

Je voudrais seulement, puisqu’elle est notre hôtesse,
Qu’on sût mieux honorer cette jeune déesse.
Je voudrais qu’à sa voix on pût régler nos pas,
Ne pas voir profaner une si douce ivresse,
Froisser d’un si beau sein les contours délicats,
Et le premier venu l’emporter dans ses bras.

xii.

C’est notre barbarie et notre indifférence
Qu’il nous faut accuser ; notre esprit inconstant
Se prend de fantaisie et vit de changement.
Mais le désordre même a besoin d’élégance ;
Et je voudrais du moins qu’une duchesse en France
Sût valser aussi bien qu’un bouvier allemand.


Alfred de Musset.