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quand le motif vulgaire dont j’ai parlé revient presque aussitôt, on regrette d’autant plus que le musicien n’ait pas été mieux inspiré. Je passe à la seconde moitié de cet acte qui est, sans contredit, la plus sérieuse partie de l’œuvre. — Le fléau règne partout dans Florence, la mort descend des maisons dans la rue, entraînant sur ses pas le pillage et la dévastation. — Le chœur des bandits qui se préparent au sac de la ville en chantant des houras à la contagion, est un morceau énergique et d’un beau caractère. — Cependant Ginevra tombe inanimée sur le seuil du palais de son père. Ici s’élève de l’orchestre une bouffée mélodieuse qui vous attire et vous charme ; c’est la romance de Guido au premier acte qui revient comme un souvenir des beaux jours dans cette nuit de désespoir, et reparaît jusqu’à trois fois à la surface de l’orchestre, toujours présentée avec plus de grâce, de mélancolie et de séduction. M. Halévy possède au plus haut degré l’art de traiter les instrumens à vent, les hautbois surtout : le moindre motif puise dans le secret qu’il a de le produire, un attrait inexprimable, une variété qui le transforme presque et lui donne la faculté de revenir à trois reprises, sans que l’esprit se lasse de l’entendre. Le duo entre Guido et Ginevra, commun dans l’adagio, évidemment écrit sans une idée, se conclut par une strette dont la banalité ne se sauve que par un trait qui éclate sur les dernières mesures, et dans lequel les voix de Duprez et de Mme Dorus se combinent avec assez de bonheur.

Quant au cinquième acte, il est livré tout entier aux promenades solitaires du vieux Médicis. Le digne homme, qui, dans la panique dont le fléau envahissant l’a frappé, a négligé de s’informer si sa fille était bien morte, court les champs dans une ample casaque de drap d’or, la seule sans doute de sa garderobe que la contagion ait épargnée. Du reste, rien n’égale la douce quiétude de son ame ; il assiste au lever du soleil, herborise et s’assied sous le chaume, consolant ses bons paysans dans leurs afflictions, qui sont les siennes, comme il dit. Arrivé devant une ferme dont l’aspect plaît à son cœur, il répète à part lui le vers de Faust : In dieser Armuth welche fülle, et s’enquiert du nom du propriétaire. Or il se trouve là tout justement une petite villageoise assez accorte pour lui raconter l’histoire de Philémon et Baucis. Jugez de son émotion, des larmes sereines qui abondent dans ses paupières vénérables, lorsqu’il apprend que cette ferme est habitée par deux jeunes époux que chacun respecte et bénit dans la contrée. Or, tandis que le vieillard bucolique s’abandonne tout entier aux réflexions que ce récit éveille dans son ame, rentre