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Et qu’on ne prenne pas ceci pour une ironie ; toute cette musique accompagne avec pompe et magnificence l’action qui se joue sur la scène. Les voix de l’orchestre semblent faites pour se combiner dans l’air avec le bruit des cloches, le hennissement des chevaux, les vapeurs des encensoirs qui fument sur les degrés du sanctuaire. Selon moi, ce n’est pas une partition, c’est un mélodrame, dans le sens antique du mot, bien entendu. À ce compte, M. Halévy aurait satisfait aux plus hautes conditions du genre.

Pour l’Éclair, il me semble impossible de définir cette œuvre ; cela n’est d’aucun style et d’aucune école, et l’on ne sait que penser des prétentions au genre bouffe que cette musique affiche à tout propos. Que M. Halévy fasse défiler des cortéges et des processions, qu’il assemble des cardinaux dans un conclave et des empereurs dans un festin, cela se conçoit ; les facultés instrumentales qu’il possède trouvent dans ces appareils somptueux et cette magnificence une application naturelle. Mais vouloir écrire de la musique bouffe, lui ! aborder, quand on n’a pas un grain de mélodie en soi, le plus difficile et le plus inaccessible de tous les genres ! croire que pour émouvoir la gaieté bruyante des gens il suffit de combiner ensemble des violons et des hautbois, en vérité, voilà une erreur grossière, dont l’auteur de la Juive aurait bien dû se garder. C’est qu’il n’y a plus ici de cloches à mettre en branle et de masses de cuivre à soulever ; le maître est livré à son propre génie et n’a pour soutien que la sympathique effusion qu’il provoque à force de chaleur expansive et de mélodieuse inspiration. Il ne faut pas demander aux hommes des prodiges, et vouloir qu’un musicien soit Cimarosa, parce qu’il lui plaît un beau jour de composer un opéra bouffe ; cependant il y a dans ce genre certaines conditions indispensables, sinon de génie, du moins de verve, d’esprit et d’originalité, auxquelles il est facile de voir que M. Halévy ne peut satisfaire. Dans la Juive, une instrumentation imposante emplit l’orchestre, et, sur la scène, le drame se déploie avec pompe et solennité ; de la sorte les yeux et les oreilles sont occupés, et, dans cette ivresse des sens, l’esprit ne songe pas à demander son compte. Or, dans l’Éclair, les choses ne se passent point ainsi. Voilà bien un orchestre correct et sans reproche, où l’harmonie est traitée avec goût et distinction ; mais, sur le théâtre, qu’y a-t-il ? Tout est vide ; à la place de l’appareil somptueux que les yeux n’y trouvent plus, l’esprit cherche en vain la mélodie. Plus la mise en scène a de simplicité (et dans le genre bouffe il n’en peut être autrement), plus on déplore l’absence de la mélodie. Du reste, toute la musique de l’Éclair se ressent de