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MUSICIENS FRANÇAIS.

sublime de Robert le Diable et des Huguenots. Cependant Meyerbeer, lui aussi, affectionne l’instrumentation entre toutes les parties de son art ; mais il en a le secret, il en a le génie. Il invente dans ce domaine comme Cimarosa dans sa sphère éthérée et mélodieuse ; il retourne en tout sens cette terre profonde et généreuse, dont il secoue en l’air les mille trésors, des diamans, des fleurs de lumière, des cristaux sans nombre ; car l’orchestre est un monde tout rempli de voix mystérieuses, de bruits et d’harmonies que l’inspiration seule peut évoquer. Voilà la science, la vraie science, celle qui invente et qui féconde ; quant à l’autre, dont tout le travail se borne à combiner froidement des sons, c’est là un calcul ingénieux, un jeu d’esprit plus ou moins subtil, mais qui ne peut guère avoir d’attrait que pour un lauréat de l’Institut.

Pour ce qui regarde la mélodie, M. Halévy la traite à son aise ; il l’emprunte sans façon aux Italiens, en ayant soin toutefois de l’entourer de certains petits artifices d’école qui, au premier abord, lui donnent un faux semblant d’originalité. Qu’est-ce donc que la fameuse strette du second acte de la Juive, sinon la belle et noble phrase de Ricciardo et Zoraïde, dégradée par toutes les exigences du mauvais goût envahissant ? Ignorance ou dédain pour tout ce qui n’est pas la voix humaine, les Italiens jettent leur mélodie au vent sans s’inquiéter dans quelle forme elle tombe. D’ailleurs, que leur importe qu’elle vive ? ils en ont tant qu’elle peut se dépenser au hasard. Ils livrent la fille de l’air à ses propres ailes, et l’abandonnent dans l’espace. Or, M. Halévy, voyant cela, s’en empare. Du reste, il faut dire à sa louange que, si M. Halévy saisit de la sorte à la volée la mélodie des autres, il a pour elle les plus grands égards ; il lui donne son œuvre pour asile et pour vêtement les plus délicats tissus de son instrumentation. Voilà le secret de cette musique ; la science de M. Halévy lui sert à produire avec plus d’éclat les imaginations des autres ; son harmonie recouvre la pensée d’autrui, et sous son rhythme se débat presque toujours une inspiration née autre part. Rossini, Bellini et Donizetti chantent, et lui instrumente leurs idées selon les plus sévères lois du contre-point.

Cependant, si l’on compare la Juive aux dernières partitions du même auteur, on ne peut s’empêcher d’en reconnaître la supériorité ; il règne dans cette œuvre une belle unité de composition qui du commencement à la fin ne se dément pas. Le style, sans jamais s’élever beaucoup au-dessus de la portée ordinaire, s’y maintient à une certaine hauteur ; les accidens se succèdent et s’enchaînent sans trouble.