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reçoit bien rarement des ordres qui relèvent de la pensée. La peinture du préau de Bicêtre et du ferrement des galériens, le voyage de Bicêtre à Paris entre le gendarme et l’huissier, le sermon de l’aumônier, la séance des assises et la toilette du condamné appartiennent plutôt au mélodrame qu’à la poésie proprement dite, et le talent incontestable de l’auteur ne peut masquer la vulgarité de ces tableaux. Ce livre est certainement une preuve de puissance ; mais la donnée choisie par l’auteur promettait un poème que nous n’avons pas : nous espérions assister aux tortures de la conscience ; et nous n’avons sous les yeux que les frissons de la chair.

Le personnage de Han d’Islande et d’Habibrah ne reparaît pas dans le Dernier Jour d’un Condamné ; il est vrai qu’il eût difficilement trouvé place dans ce lugubre monologue. Cependant M. Hugo ne pouvait se passer d’un monstre, et il a réalisé son type de prédilection dans la personne du ministère public. La justice humaine, telle qu’il nous la montre, n’est pas moins altérée de sang que Han d’Islande, ou Habibrah. Le magistrat n’est pas moins cruel que le brigand ou le nain ; il n’y a entre ces deux cruautés que la différence qui sépare l’emphase de la bizarrerie. La colère de M. Hugo contre la magistrature est aujourd’hui devenue un lieu commun qui reparaît dans tous ses livres ; si ce lieu commun avait quelque utilité, nous le subirions volontiers ; mais nous avouons sincèrement qu’il nous est impossible de voir dans cette colère un plaidoyer contre la peine de mort. Si telle est l’intention de l’auteur, c’est une intention traduite bien maladroitement. Si la loi est mauvaise, c’est la loi qu’il faut attaquer et non la magistrature, qui ne l’a pas faite, et qui l’applique selon la mesure de ses lumières.

Dans Notre-Dame de Paris, nous retrouvons en pleine maturité toutes les qualités littéraires qui n’existaient qu’en germe dans les trois ouvrages précédens. Pour être juste envers M. Hugo, il faut le juger comme romancier d’après Notre-Dame de Paris, et ne consulter ses autres romans qu’à titre de renseignemens. Le roman de Notre-Dame, écrit à l’âge de vingt-neuf ans, peut être considéré, sinon comme le dernier mot de l’auteur, du moins comme l’expression d’une volonté long-temps discutée, soumise à toutes les épreuves de la réflexion. Les personnages de ce livre appartiennent-ils à la famille humaine ? Nous ne le croyons pas. Le talent littéraire de M. Hugo s’est-il montré dans cette œuvre plus riche, plus varié que dans les romans précédens ? Assurément oui. Le style de Notre-Dame est incontestablement supérieur au style de Han d’Islande, de Bug