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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

atteint vingt-quatre ans : à cet égard, la déclaration de M. Hugo ne laisse aucun doute. Nous avons donc le droit de juger Bug Jargal, non comme une ébauche, mais comme une œuvre corrigée à loisir. Or, la conception de ce roman, bien que supérieure à celle de Han d’Islande, ne mérite cependant pas de grands éloges. Biassou et le planteur sang-mêlé sont des types de cruauté, de niaiserie poltronne, très maladroitement dessinés. Le style seul, par sa rapidité, par son élégance, par la sobriété des ornemens, donne à Bug Jargal une valeur littéraire qu’on chercherait vainement dans les personnages.

Le Dernier Jour d’un Condamné, écrit presque en même temps que les Orientales, résume malheureusement les défauts et les qualités de ce recueil lyrique. Le sujet, pris au sérieux, semblait promettre une étude psychologique ; M. Hugo, sans avoir complètement méconnu les conditions du sujet, a cependant trouvé moyen de le traiter à peu près constamment par le côté visible, extérieur, en indiquant à peine et d’une façon confuse le côté intérieur, invisible, c’est-à-dire le côté le plus important, le seul qui soit véritablement poétique. Il s’est proposé de peindre les tortures morales de l’homme condamné à mort, qui compte, dans son cachot, les heures, les minutes, les secondes qui lui restent à vivre. Certes, une pareille donnée était de nature à corriger la prédilection de M. Hugo pour le monde extérieur ; il y avait lieu d’espérer qu’en fouillant dans les entrailles de cette idée féconde, il oublierait peu à peu son amour pour le bruit, pour la couleur ; qu’il désapprendrait le culte des mots, et reviendrait à la pensée, à l’émotion, par l’étude patiente, par l’analyse assidue du thème qu’il avait choisi. Il y aurait de l’injustice à dire que le récit du dernier jour d’un condamné a été pour M. Hugo un travail sans profit ; mais, pour être vrai, nous devons dire qu’il n’a pas tiré de ce travail tout le profit que nous pouvions espérer. Un seul épisode mérite d’être loué sans restriction, c’est l’épisode de Pepita ; or, cet épisode se rattache précisément au côté négligé par M. Hugo dans le reste du récit. Le tableau de cet amour si frais et si pur, si ardent et si chaste à la fois, contraste douloureusement avec la condition désespérée du condamné, et nous devons regretter que l’auteur n’ait puisé qu’une seule fois à cette source d’émotion. Ce n’est pas moi qui contesterai l’habileté singulière, l’abondance descriptive, que M. Hugo a montrées dans le Dernier Jour d’un Condamné ; il est évident, pour tous les hommes lettrés, que l’écrivain à qui nous devons ce monologue éloquent manie la langue avec une sécurité magistrale, et qu’il dit ce qu’il veut sans embarras, sans trouble, sans hésitation. Mais, si la langue obéit, elle