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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

cette pièce, de se convaincre que M. Hugo, pour disposer de la rime, accepte de son esclave des conditions humiliantes. La rime consent à lui obéir et ne se laisse jamais appeler deux fois ; mais elle prescrit à M. Hugo d’abandonner sa pensée à la première sommation. Elle lui obéit ; mais, ce qu’elle veut, il faut que le poète le veuille à son tour. Dès qu’il l’invoque, elle arrive ; mais elle chasse l’idée qu’elle devait encadrer. Une pareille autorité ressemble singulièrement à la servitude ; je pense donc que la pièce adressée à M. Louis B. est loin de mériter l’admiration qu’elle a excitée. Elle est, je l’avoue, versifiée avec une rare habileté ; mais cette habileté coûte trop cher à M. Hugo pour que nous puissions la louer sans restriction. Plus d’élévation et en même temps plus de sobriété, un choix d’images plus sévère, telles sont les qualités que je voudrais trouver dans cette pièce, et qu’il m’est impossible d’y découvrir. La rime qui prescrit l’oubli de l’idée n’est pas, quoi qu’on puisse dire, une rime obéissante, et l’habileté qui mène à de pareilles concessions n’est pas une habileté complète.

L’avant-dernière pièce des Chants du Crépuscule, adressée à Mlle Louise B., Que nous avons le doute en nous, mérite les mêmes reproches. Le sujet choisi par le poète n’est pas traité. Ce qu’il plaît à M. Hugo d’appeler doute pourrait très bien s’appeler d’un autre nom. Les images que l’auteur appelle à son aide pour éclairer sa pensée, manquent d’élévation, de sévérité, et font de la douleur qu’il veut raconter une sorte d’enfantillage. Il est impossible, en parcourant les stances de cette élégie, de croire que le poète ait réellement éprouvé ce qu’il tente de peindre. Il y a tant de coquetterie et de caprice dans les comparaisons qu’il emploie, les mots jouent un si grand rôle, et l’idée un rôle si mince, que le cœur se refuse à toute sympathie. Cependant le doute, poétiquement compris, est un beau sujet d’élégie ; mais pour traiter un pareil sujet, il faudrait prendre au sérieux les angoisses du doute, et surtout il faudrait distinguer clairement les doutes du cœur et les doutes de l’esprit, car l’incertitude des vérités poursuivies par la science n’est pas une douleur, mais un noviciat ; tandis que la ruine des croyances que la science ne peut établir sur de solides fondemens, mais dont le cœur a besoin, est un tourment digne de pitié. M. Hugo semble n’avoir entrevu aucune des conditions du sujet ; il est impossible de démêler, dans la pièce adressée à Mlle Louise B., s’il s’agit de l’incertitude des vérités scientifiques ou de la ruine des croyances consolantes. À parler franchement, le doute n’est qu’un prétexte dont M. Hugo se sert pour rimer quelques stances ; mais il n’y a chez le poète aucune douleur sincère, aucun