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que la famille. Il y a dans cette pièce un grand nombre de vers très habilement faits, mais il est impossible de deviner quelle pensée régit l’ode entière ; depuis le commencement jusqu’à la fin, ce n’est qu’un entassement confus d’images sans signification. Dans ces strophes si abondantes où les mots disciplinés exécutent si bien toutes les évolutions que le poète leur commande, je n’aperçois aucune sympathie sincère pour la gloire des armes ou la gloire de la tribune, pour les conquêtes pacifiques ou les conquêtes militaires, pour le développement de la puissance ou de la liberté. Les regrets donnés à la dynastie exilée offraient à l’auteur un point de départ naturel. M. Hugo, qui a chanté les combats de la Vendée, ne devait pas brusquement passer du dévouement royaliste à l’exaltation démocratique ; mais il a complètement omis cette transition si nécessaire, il s’est complu capricieusement dans une série de tableaux qui pourraient être déplacés sans inconvénient. En un mot il a écrit sur les trois journées de juillet une ode très habile et très insignifiante, pleine de paroles et sans idées. Si toutes les pièces du recueil politique qu’il nous avait promis devaient ressembler à cette ode, nous sommes loin de le regretter.

La pièce adressée à Louis B. a été généralement admirée pour la richesse et l’abondance que l’auteur a su y déployer. Sans m’inscrire contre le jugement de la majorité, je crois devoir cependant énoncer des réserves importantes. Oui, sans doute, l’homme qui a écrit cette pièce manie la langue avec une puissance singulière, et dispose à son gré de la césure, de la rime et de l’image ; il trouve pour une idée unique des métamorphoses nombreuses, qui attestent chez lui une connaissance complète du vocabulaire. Mais n’y a-t-il pas parmi les images qu’il emploie un grand nombre d’images triviales ? Les passions comparées aux passans qui viennent troubler l’homme pieux dans son asile, la débauche et l’impiété comparées au couteau qui raye le nom inscrit sur la cloche, peuvent-elles être acceptées comme des figures dignes de la poésie lyrique ? je ne le pense pas. L’idée première était heureuse, et si M. Hugo n’a pas le mérite de l’avoir trouvée, s’il l’a empruntée à Schiller, il a du moins fait preuve de discernement. Mais cette idée, pour devenir vraiment poétique, demandait un ordre de développemens que le poète français ne semble pas même avoir entrevu. Dans cette pièce, comme dans les Orientales, la rime, que M. Hugo paraît gouverner souverainement, l’a souvent emporté bien loin de l’idée qu’il poursuivait ; elle a souvent rapproché, sans raison, des images qui ne s’étaient jamais rencontrées dans le même vers. Il est facile, en lisant