Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/744

Cette page a été validée par deux contributeurs.
740
REVUE DES DEUX MONDES.

a revendiqué son droit de cité parmi les idées qu’il avait désertées, il a trouvé toutes les portes fermées, et c’est à peine s’il a pu entrevoir les hôtes parmi lesquels il voulait être admis. Les idées refusant de l’accueillir, il est retourné parmi les mots.

Et pourtant, je préfère les Feuilles d’Automne à tous les recueils lyriques de M. Hugo. Ma préférence est facile à expliquer. Si l’auteur, en effet, a été vaincu dans la lutte qu’il avait engagée, sa défaite n’a pas été sans gloire. S’il n’a pas dit ce qu’il voulait dire, ou plutôt si sa parole trop prompte a souvent étouffé, sous son bruyant murmure, les premiers vagissemens de sa pensée, nous devons lui tenir compte du vœu qu’il avait formé, de l’espérance qu’il avait conçue. Venues après le cinquième livre des odes, les Feuilles d’Automne seraient une énigme impénétrable ; l’esprit se refuserait à comprendre comment le rêveur adolescent, parvenu à la virilité, a si tôt perdu la mémoire de ses premières espérances, comment il a si tôt abandonné le monde de la conscience pour le monde des yeux ; mais les Orientales, placées entre le cinquième livre des odes et les Feuilles d’Automne, répondent à tous les doutes, et nous expliquent nettement les angoisses intellectuelles de M. Hugo. Si quelque chose nous étonne encore dans les Feuilles d’Automne, c’est que M. Hugo, après un si long séjour chez le peuple des mots, ait retrouvé dans son cœur quelques traces des sentimens qu’il avait oubliés.

La lecture des Feuilles d’Automne est féconde en leçons, et projette une vive lumière sur toutes les œuvres de l’auteur. Après avoir étudié d’un œil attentif ce recueil lyrique, dont l’intention générale est si vraie, dont l’exécution est demeurée si incomplète, il est facile de comprendre pourquoi les romans et les drames de M. Hugo offrent des personnages si singuliers. Puisque l’auteur des Feuilles d’Automne a si mal réussi dans l’analyse de ses propres sentimens, nous n’avons pas le droit de nous étonner qu’il ait échoué, lorsqu’il a tenté d’inventer des hommes, de ranimer les cendres de l’histoire. Lorsqu’il écrivait les Feuilles d’Automne, il avait en lui-même le modèle qu’il voulait copier ; il n’avait à interroger que sa conscience pour traiter complètement le sujet qu’il avait choisi ; et pourtant, c’est à peine s’il a esquissé le tableau qu’il avait entrepris ; c’est à peine s’il nous a montré un coin de l’horizon immense qu’il nous annonçait. Se connaissant si mal lui-même, comment connaîtrait-il les autres hommes ? Impuissant à recueillir les révélations de sa conscience, comment deviendrait-il l’écho du passé ? De toutes les formes de la poésie, s’il en est une qui doive atteindre facilement à la vé-