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Mais il s’est bientôt exagéré la valeur de l’analogie, comme il s’était exagéré la valeur de la rime. Au lieu de voir dans l’image le vêtement de la pensée, il a fait de l’image quelque chose d’égoïste et d’indépendant ; il a suivi l’exemple des statuaires qui ordonnent capricieusement les plis d’une draperie sans tenir compte du nu que la draperie doit traduire en le couvrant. J’avoue que M. Hugo, une fois décidé à suivre cette doctrine, a su la mettre en œuvre avec une rare habileté. Si les images prodiguées dans les Orientales ne servent de vêtement à aucune idée, elles sont d’une richesse éclatante, et l’auteur ne leur donne jamais congé avant de les avoir présentées sous les faces les plus variées. À mon avis, il se méprend complètement sur la valeur et le rôle des images ; mais il tire parti de son erreur avec une prodigieuse adresse, et je conçois sans peine que son exemple ait trouvé de nombreux imitateurs. Le succès n’absout pas l’erreur. Si l’image pouvait avoir par elle-même une valeur indépendante, il faudrait rayer de la mémoire humaine toutes les lois de la pensée, toutes les lois de la parole. Les premiers écrivains de la Grèce, de l’Italie et de la France auraient ignoré les élémens du style poétique, et l’admiration unanime qui les a couronnés serait une admiration ignorante ; mais la doctrine de M. Hugo ne résiste pas à l’examen. Il est évident que l’image doit obéir à la pensée, lui servir d’ornement et de parure, et qu’elle n’a par elle-même aucune valeur indépendante.

L’application de la doctrine que nous combattons est empreinte à chaque page des Orientales, aussi bien que la théorie de la rime féconde ; or, l’égoïsme de l’image et la fécondité de la rime ne pouvaient engendrer qu’une série de tableaux capricieux, sans relation logique, sans enchaînement, et tel est en effet le caractère général des Orientales. Non-seulement les récits qui veulent être dramatiques se nouent et se dénouent sans acteurs ; mais le paysage même où figurent ces acteurs sans ame est un paysage impossible.

Dans les Feuilles d’Automne, M. Hugo a voulu réhabiliter la pensée et réduire le vocabulaire au seul rôle qui lui appartienne, à l’obéissance ; mais il n’était plus temps. Les sentimens naïfs et vrais qui respirent dans le cinquième livre des odes, étouffés sous le branchage touffu d’une langue ambitieuse, n’avaient pu ni se développer, ni se transformer ; l’amant, devenu père, cherchait en vain au fond de son ame les joies et les espérances qu’il avait chantées. Les Feuilles d’Automne sont une noble tentative, mais une tentative avortée. Cependant je n’hésite pas à déclarer ce recueil supérieur à toutes les