Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/737

Cette page a été validée par deux contributeurs.
733
POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

tombé. Tout ce qu’il y a de réel dans le talent du poète est reconnu et proclamé d’une voix unanime ; ceux même qui n’éprouvent aucune sympathie pour les strophes dorées des Orientales, pour les descriptions abondantes de Notre-Dame de Paris, ou pour les splendeurs puériles de Lucrèce Borgia, ne peuvent contester à M. Hugo une singulière puissance dans le maniement de la langue. Mais il semble que l’auteur ait besoin d’une lutte acharnée pour exciter l’attention. Depuis que la lutte a cessé, l’attention languit, et le moment n’est pas éloigné peut-être où elle s’endormira sans retour. Nous désirons que l’avenir démente nos prophéties, mais nous croyons sincèrement que nos craintes sont partagées par un grand nombre de lecteurs. Toutefois, ce n’est pas à trente-six ans qu’il est permis de renoncer à se renouveler ; il dépend donc de M. Hugo de réfuter nos craintes en commençant une série d’œuvres inattendues. Quant aux œuvres qu’il a signées de son nom depuis vingt ans, il faut qu’il se résigne à les voir disparaître bientôt sous le flot envahissant de l’oubli. Cette parole est dure, je l’avoue, et pourtant elle exprime sans exagération une pensée à laquelle se rallient déjà de nombreuses intelligences. D’ailleurs cette parole ne doit pas être prise dans un sens absolu ; si les œuvres de M. Hugo nous semblent condamnées à un prochain oubli, le nom de M. Hugo prendra place parmi ceux des plus hardis, des plus habiles, des plus persévérans novateurs, et certes cette gloire incomplète n’est pas sans valeur. Lors même que l’auteur des Orientales s’enfermerait obstinément dans le système littéraire qu’il a fondé et soutiendrait que la terre finit à l’horizon de son regard, son passage dans la littérature contemporaine mériterait cependant d’être signalé, sinon comme une ère de fécondité, du moins comme une crise salutaire. Quelle que soit la détermination à laquelle M. Hugo s’arrêtera, qu’il se continue ou qu’il se renouvelle, qu’après avoir étudié toutes les ressources de l’instrument poétique, il aborde enfin le champ de la vraie poésie, ou qu’il persiste à épeler des notes innombrables sans écrire une partition, le moment est venu d’étudier et de caractériser sévèrement les odes, les romans et les drames qui composent la collection de ses œuvres. L’auteur, malgré sa jeunesse, appartient dès à présent à l’histoire littéraire. En poursuivant la voie où il est entré, il y a vingt ans, il n’arrivera jamais à surpasser les œuvres qu’il nous a données ; nous avons la certitude qu’il a maintenant accompli, dans le cercle de sa pensée, tout ce qu’il pouvait accomplir. S’il tente une voie nouvelle, s’il se transforme, s’il se régénère, s’il renonce à l’amour des mots pour l’amour des idées, dans