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même défaut que le deux premières. Auguste des Préaux et son père, la marquise de Vilars et son mari, sont dessinés avec bonheur et remplissent, à mon avis, les meilleurs chapitres du livre. Mais à quoi bon peindre minutieusement la tendresse austère du père pour son fils, la tendresse respectueuse de la marquise pour son mari ? Chacun de ces tableaux nous distrait d’Amsterdam et de Fontainebleau, et nous offre une nouvelle promesse pour nous conduire à un nouveau désappointement. Les amours d’Auguste des Préaux et de la marquise de Vilars, le dévouement filial de la marquise pour son mari, le départ désespéré d’Auguste, nous emportent bien loin de Latréaumont, de Van den Enden et du chevalier de Rohan. C’est un troisième livre qui commence, et qui ne s’achèvera pas plus que les deux premiers. Cette triple conception et ce triple avortement sont si évidens, qu’ils n’ont pu échapper au regard de l’auteur ; car M. Sue, dans la préface de Latréaumont, réclame l’indulgence du lecteur pour ce qu’il appelle les innombrables perspectives de son exposition.

Le drame si longuement et si laborieusement préparé par M. Sue se noue et se dénoue avec une simplicité qui peut convenir à l’histoire, mais qui, à coup sûr, ne convient pas au roman. Sans exiger, en effet, de l’auteur de Latréaumont qu’il construisît sur les données de l’histoire un imbroglio à l’espagnole, le lecteur avait le droit d’espérer que la catastrophe ne serait pas imminente et prévue dès les premières pages. Or, dès que M. Sue a terminé la revue de ses personnages, dès qu’il se décide à les mettre aux prises, il n’est plus possible de conserver le doute le plus léger, de nourrir la plus faible espérance. Chacun des acteurs marche à la mort sans qu’aucun incident, aucune passion retarde la catastrophe. Latréaumont traîne Louis de Rohan au supplice comme une victime prédestinée ; à vrai dire, il n’y a pas de lutte engagée entre le grand seigneur disgracié et le soldat de fortune. Aussi le lecteur le moins clairvoyant, le plus étranger à l’histoire de Louis XIV, prévoit l’inévitable dénouement de cette tragédie. L’absence de toute incertitude équivaut évidemment à la négation même de la poésie. Réduit à ces mesquines proportions, le récit de la conspiration n’est plus qu’un procès-verbal, et ne peut légitimement prétendre au titre de poème ou de roman. C’est tout simplement une série de chapitres qui s’appellent l’un l’autre et n’excitent aucune curiosité. Cependant je ne puis me refuser à reconnaître que M. Sue a traité la seconde moitié de son livre avec un soin remarquable, dont jusqu’ici il n’avait pas donné l’exemple. Quoique le drame proprement dit, conçu selon les lois poétiques, demeure perpétuellement à l’état