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ORIGINES DU THÉÂTRE.

daient au tribunal, appuyés sur leurs bâtons et en chantant les anciens airs des Phéniciennes de Phrynichus[1]. Le petit peuple sans profession, les lazzaroni d’Athènes, avaient eux-mêmes une chanson particulière mêlée de danses. On la nommait Anthème ou Fleur, elle se dansait au son de la flûte avec un mouvement rapide ; l’exécutant chantait : « Où est ma rose ? où est ma violette ? où est mon beau persil[2] ? »

Enfin, dans la suite, quand les vrais chants du peuple eurent cessé, il vint des poètes qui composèrent des chansons dans le goût populaire. « Télénice de Byzance et Argas, dit un ancien, ont chanté dans le langage des rues et réussi dans ce genre qui allait bien à leur caractère[3]. » Ainsi la littérature grecque, au temps de sa décadence, posséda ce que nous avons appelé le genre poissard. Athènes eut ses Vadé, comme Paris a eu le sien au dernier siècle.

Cette poésie factice nous conduit à étudier non plus les spectacles naïfs que le peuple grec se donnait à lui-même et auxquels concouraient tous les ordres de citoyens, mais les représentations de divers genres qu’offraient au peuple des acteurs de profession.

Toutefois, avant de passer à l’examen de cette nouvelle branche du drame populaire, je dois m’arrêter quelques instans à un des spectacles qui participait des deux genres ; je veux parler du grand théâtre public, dans lequel le peuple intervenait en partie comme spectateur et en partie comme comédien.

DE L’INTERVENTION POPULAIRE DANS LE GRAND THÉATRE GREC. — CHŒURS DES TRAGÉDIES ET DES COMÉDIES. — CHORÉGES.

À Athènes une tragédie de Sophocle et une comédie d’Aristophane n’étaient pas jouées seulement par des acteurs de profession. Sorties des anciens chœurs cycliques et des mystères, la tragédie et la comédie étaient un devoir religieux et national auquel concouraient le zèle et la piété empressée des citoyens. Quand venaient les Panathénées, les Éleusinies, les Dionysies et les autres fêtes qui demandaient des représentations scéniques, un chorége était choisi à l’avance dans chaque tribu, parmi les plus riches habitans. C’était à lui de former, dans sa tribu, un chœur soit tragique, soit comique, et de le mettre à la disposition d’un poète qui recevait ainsi les moyens de concourir pour le prix ; le chorége devait fournir à ses frais les costumes et pourvoir à l’instruction des choreutes. Dans l’origine, les citoyens aimaient à faire partie des chœurs et remplissaient avec joie ce devoir civil et religieux, auquel étaient attachés plusieurs priviléges ; les choreutes étaient exempts du service militaire, et leur personne était inviolable pendant la

  1. Aristoph., Concion., v. 276, seqq.Vesp., v. 219-221. — Ces chants et ces danses des juges d’Athènes nous paraîtront moins extraordinaires quand, plus tard, nous étudierons l’ancien cérémonial du parlement de Paris et des autres cours du royaume, où se pratiquaient diverses révérences et certains pas qui se rapprochaient beaucoup, à leur origine, de ce qu’Aristophane nous apprend des juges athéniens.
  2. Athen., lib. xiv, pag. 629, E.
  3. id., ibid., pag. 638. C.