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d’avoir prêté, dans sa jeunesse, son ministère à toutes les jongleries indécentes de ces initiateurs ambulans[1].

Les prêtres de cette seconde époque, surtout ceux de Bacchus, descendirent peu à peu au rôle de prestigiateurs et de charlatans. On peut lire, dans Pausanias, le récit d’un miracle qui s’opérait tous les ans dans le temple de Bacchus, près d’Élis, et que cet écrivain, d’un tempérament pourtant assez crédule, compare aux contes des Éthiopiens[2]. Ce miracle consistait en trois bouteilles d’eau cachetées et déposées dans la cella du temple, et qui ne manquaient pas de se changer en vin.

Dépassé par la science, par la philosophie, par les arts, le sacerdoce grec fut réduit à descendre à l’imitation des artistes et au plagiat des philosophes. Son rôle d’initiateur était accompli, ses efforts ne tendirent plus qu’à se maintenir au niveau des idées nouvelles. Non-seulement les dogmes se modifièrent par le contre-coup des systèmes philosophes, mais les rites et les cérémonies même, pour ne pas paraître d’une pauvreté ridicule, durent suivre le progrès des arts. La tragédie surtout fut, pour les mystagogues grecs, un objet redoutable d’émulation. Les prêtres d’Éleusis accusèrent Eschyle d’avoir dévoilé les choses saintes, notamment dans les Sagittaires, les Prêtres, Sisyphe, Iphigénie et Œdipe ; mais le poète, consacré à Bacchus, prouva qu’il n’était pas initié aux rites secrets de Cérès, et il échappa, non sans peine. Réduit à subir une si redoutable concurrence, le sacerdoce fut obligé de lutter d’art. La tragédie, sortie de l’hiéron de Bacchus, entra secrètement dans celui de Cérès. Le temple d’Éleusis, aussi vaste qu’un théâtre, selon la remarquable expression de Strabon[3], s’ouvrit à des représentations de plus en plus scéniques[4]. Dès ce moment tout fut perdu ; l’idée de dispensation discrète, qui avait présidé à l’établissement des mystères, fut abandonnée par la nécessité de la lutte. Au lieu de représentations immuables, les prêtres, pour varier le spectacle, tâchaient d’offrir, chaque année, des objets nouveaux aux mystes[5]. De plus, pour augmenter le nombre des adeptes, les épreuves devinrent de moins en moins sévères. Des enfans en bas âge paraissent avoir été admis à la première et peut-être à la seconde initiation[6]. Déjà, du temps d’Isée et de Démosthène, des courtisanes avaient été reçues parmi les mystes[7]. Par suite, le désordre s’in-

  1. Demosth., De coronâ, t. II, pag. 516, A.
  2. Pausan., Eliac., ii, cap. xxvi, § 1.
  3. Strab., lib. ix, pag. 395, B.
  4. M. Fougerot, en 1781 (Magasin encyclop., an viii, tom. I, pag. 309 et suiv.), et plus récemment les auteurs des Antiquités inédites de l’Attique, traduites par M. Hittorff (pag. 30 et 31), ont constaté dans les ruines du temple d’Éleusis l’existence d’une crypte, qui formait sous la cella une pièce souterraine semblable à celles que l’on ménage, pour le jeu des décorations, sous le plancher de nos théâtres, et qui paraît avoir eu la même destination. Je pense que, dans l’époque sévère des mystères d’Éleusis, cette crypte put servir à faire monter dans la cella les figures et les symboles que le dadouque éclairait de son flambeau.
  5. Senec., Natur. quæst., lib. vii, cap. XXXI. Peut-être ce passage ne se rapporte-t-il qu’aux deux degrés d’initiation.
  6. Himer., Orat. xxxiii, § III, pag. 874, ed. Wernsd.Terent., Phorm., act. I, sc. I, v. 13-15. — Apollod. ap. Donat, ibid.
  7. Isaeus, Orat. de hœred. Philoctem., pag. 61, — Demosth., in Neœr., p. 862.