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pompe à ceux de Cérès et de Proserpine. La nuit suivante, les mystères avaient lieu dans le temple : alors probablement était mise en action la fable du jeune Iacchus déchiré par les Titans, et rendu à la vie par Cérès. Ce mythe offrait la peinture allégorisée des sanglantes collisions des deux cultes de Samothrace et de Phrygie, et de leur réunion définitive dans la grande unité éleusinienne.

Une autre de ces représentations iaccho-éleusiniennes consistait dans le mariage mystique de Bacchus et de Cérès. À cette occasion, l’on saluait le jeune dieu de cette formule que nous a conservée Firmicus : « Salut, nouvel époux, salut, nouvelle lumière[1]…, » paroles qui semblent faire allusion à la nouveauté du culte de Bacchus en Grèce et à son alliance avec celui de Cérès-Éleusine.

MYSTÈRES DE BACCHUS.

On vient de voir qu’avant la réunion des deux cultes, Pégase d’Éleuthères avait fondé des mystères purement dionysiaques. C’était aux Dionysies du printemps, ou anthestéries[2], et dans l’hiéron de Bacchus-aux-Marais, qu’avaient lieu, une fois chaque année, les cérémonies secrètes.

Un prêtre, ou Iacchagogue, ainsi nommé peut-être seulement depuis l’alliance du culte d’Iacchus et de Déméter, et une prêtresse dont les fonctions subsistaient encore au second siècle[3], étaient, avec l’hiéroceryx, les principaux ministres de ces mystères. Les initiés, hommes et femmes, exécutaient, sous leur direction, les théogonies ou représentations de la naissance de Bacchus, et les iobacchies, processions accompagnées d’acclamations et de chants en l’honneur du jeune dieu.

Le rite le plus caractéristique de ces mystères était la créonomie, ou le partage entre les initiés des viandes du sacrifice. Ce partage rappelait la fable de Bacchus déchiré par les Titans, et peut-être le meurtre de Penthée et des autres opposans au culte de Bacchus. Chaque assistant devait manger crue la part de la victime qui lui était distribuée. Cette pratique s’appelait omophagie[4]. C’était une commémoration de l’anthropophagie primitive, d’où les instituteurs des mystères, et plus particulièrement Orphée[5], avaient retiré les hommes :

Cœdibus et victu fœdo deterruit Orpheus[6].

Malgré l’adoption d’une partie des rites secrets de Bacchus par la puissante mystagogie éleusinienne, le culte dionysiaque fut envahi plus vite qu’aucun autre par la dévotion séculière. Ce fut, en effet, dans l’hiéron même de

  1. Firmic., De error. proph. relig., pag. 24, ed. J. Maire
  2. Demosth., in Neœr., pag. 873, D.
  3. Cette prêtresse de Bacchus formait au second siècle, avec les Thyades ou bacchantes, un corps où les hommes n’étaient pas reçus. Voyez Plutarch., De Iside et Osir., pag. 365, A.
  4. Eurip., Bacch., v. 139. — Aristote cite les Achæi et les Heniochi, habitans du Pont-Euxin, comme étant de son temps encore anthropophages. Voy. Politic., lib. viii, cap. iii, § 4.
  5. Aristoph., Ran., v. 1032.
  6. Horat., Epist. ad Pisones, v. 392.