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GRANDS MYSTÈRES.

La part du drame est beaucoup moindre dans les grands mystères. Il s’agissait bien moins dans l’Époptée, ou dernier degré de l’initiation, de rites commémoratifs et de légendes mises en action que d’un enseignement philosophique où les prêtres exposaient le dogme et la pensée intime de l’hellénisme.

Grace au secret à peu près impénétrable qui couvrit jusqu’à la fin cette partie du culte, la haute théologie du paganisme peut avoir varié plusieurs fois à notre insu. Il est probable que l’égyptianisme et le pythagoréisme modifièrent d’abord l’ancienne doctrine : avec l’un s’introduisit le dogme de la vie future ; avec l’autre les purifications, les jeûnes, le silence et probablement le système de la métempsycose. Plus tard, le judaïsme, le christianisme et le néoplatonisme l’ont profondément altérée. Toutefois, s’il est resté quelque part des traces de l’ancien hellénisme, c’est, sans aucun doute, dans le sanctuaire d’Éleusis, dépositaire le plus respecté des plus anciennes traditions.

Autant qu’on peut en juger par le petit nombre de faits qui nous sont connus, le bonheur de l’épopte, qui était passé en proverbe[1], consistait dans la perception de certaines vérités, soit cosmogoniques, soit psychologiques ou morales, rendues visibles et palpables en quelque sorte : « Nous avons vu, dit Platon, cette beauté dans toute sa splendeur, alors que, mêlées au chœur des bienheureux, nos ames à la suite de Jupiter, et celles des autres à la suite de quelques-uns des autres dieux, contemplaient avec ravissement cette vision fortunée, et entraient en participation des mystères qu’on peut appeler les plus saints de tous. Nous les célébrions dans un état de perfection absolue et exempts de la pensée des maux futurs. Nous jouissions de la vue de ces spectacles divins, simples, heureux, tranquilles, qui se déroulaient à nos yeux au sein d’une pure lumière, purs nous-mêmes et libres de ce cercueil qu’on appelle le corps, et que nous traînons ici partout comme l’huître traîne l’écaille qui l’emprisonne[2].

On peut inférer, d’un fragment attribué par Eusèbe à Sanchoniathon, que le monde était un des premiers tableaux qu’on offrait à l’initié sous l’emblème de l’œuf[3]. « C’est ici, dit saint Clément d’Alexandrie en parlant des grands mystères, que finit tout enseignement : on voit la nature et les choses[4]. » Un passage de Porphyre, cité par Eusèbe, peut nous donner une idée de cette singulière symbolique : « On établissait, dit-il, des rapports entre Dieu et les corps transparens, tels que le cristal. La sphère était le soleil ou l’univers ; le cercle, l’éternité. » Toute figure pyramidale représentait le principe

  1. « Quand je médis de mon maître en cachette, dit un esclave dans Aristophane, il me semble que je suis épopte. » Voyez Ran., v. 745.
  2. Plat., Phœdr., pag. 250, B, C.
  3. Euseb., Præpar. evangel., lib. i, cap. vii.
  4. Clem. Alex., Strom., lib. v, pag. 688 et 689. — Euseb., ibid., lib. iii, pag. 98, B, seqq.