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ORIGINES DU THÉÂTRE.

mystiques[1]. On voit que le dogme des récompenses et des peines qui nous attendent dans une autre vie, était le principal enseignement des mystères, mais peut-être seulement des petits. Je me crois fondé à faire cette distinction à cause de la publicité notoire et sans réserve que la doctrine de la vie future a reçue dans l’antiquité.

Cette exposition des peines et des récompenses à venir était-elle présentée dans les mystères d’une manière dramatique ? Il est généralement reconnu[2] que dès l’origine, les rites des petits mystères consacrés à Proserpine ou plutôt à Hécate, offraient d’effrayantes apparitions. On voyait des spectres à crête de dragon, des monstres tantôt bœufs, tantôt mulets, tantôt chiens à plusieurs têtes. Hécate, si monstrueuse elle-même, passait pour avoir le pouvoir de faire apparaître des fantômes, entre autres, Empuse qui n’avait qu’un pied, ou qui, suivant d’autres, avait une cuisse d’airain et une jambe d’âne. Ceux des aspirans à qui il arrivait de donner des signes de frayeur pendant les épreuves, étaient repoussés comme indignes. « Loin d’ici, dit Aristophane[3], le lâche qui souille les images d’Hécate[4], en mêlant ses chants aux danses cycliques. » Le prélude de ces représentations était l’éloignement des flambeaux, comme l’a très ingénieusement prouvé M. de Sacy[5] d’après un passage du Banquet de Platon. Alcibiade, avant de faire un aveu peu honorable pour Socrate et pour lui-même, réclame la sortie des domestiques et l’extinction des lampes. C’est là assurément une allusion sensible à ce qui se passait dans les mystères. Au reste, cette précaution de faire précéder les cérémonies de l’initiation par les ténèbres est un des artifices que l’on emploie aujourd’hui même dans l’exhibition des panoramas et des dioramas.

Ces représentations fantastiques prirent un développement plus moral, et plus dramatique, quand les mythes égyptiens d’Osiris, du lac Achérusia, de Charon et de la barque fatale, furent venus de Saïs en Grèce. Alors on n’effraya plus seulement les mystes par de vaines apparitions de spectres et de monstres ; ce fut le dogme dramatisé des peines et des récompenses à venir, l’Élysée et le Tartare, tout ce qu’Horace comprend sous le nom de fabulæ Manes et tout ce qu’Aristote appelle οσα ἔν ἅδου, que l’on exposa à leurs regards. Aristophane dans sa comédie des Grenouilles, dont la scène est supposée sur le chemin d’Éleusis, introduit Bacchus qui descend aux enfers et qui rencontre dans l’Élysée un chœur d’initiés. Cette confusion du séjour de Pluton et d’Éleusis indique clairement, suivant M. de Sainte-Croix, que les représentations du Tartare faisaient partie de ces mystères. On peut inférer de quelques passages d’un dialogue attribué à Platon[6], que la prétendue descente d’Hercule et de Bacchus aux enfers n’était que le souvenir de leur initiation à Éleusis.

Je pense donc, avec M. de Sainte-Croix, que l’on offrait dans les mystères

  1. Isocr., Paneg., pag.46, A, seqq.
  2. Lobeck, Aglaopham., tom. I, pag. 321.
  3. Aristoph., Ran., v. 366.
  4. Κατατιλᾶ, concacat.
  5. M. de Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères, tom. I, pag. 348, note 3.
  6. Plat., Axioch., pag. 371, E.