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ORIGINES DU THÉÂTRE.

soumises à la direction sacerdotale ; long-temps les statuaires et les peintres de l’école d’Égine et de Rhodes se renfermèrent dans la reproduction des types consacrés ; long-temps les musiciens et les poètes respectèrent les anciens airs, ou, comme on disait, les anciens nomes. Mais peu à peu l’art, augmentant ses franchises, entra dans sa troisième époque, dans la phase de complet affranchissement qui, sous le ciel heureux de la Grèce, devait produire tant de chefs-d’œuvre. Et cependant l’idée de la subordination de l’art au culte était si profondément entrée dans les mœurs, que cette liberté particulière à l’école d’Athènes, et sans laquelle Sophocle et Phidias ne pouvaient exister, rencontra l’opposition des plus grands hommes. Solon entrava de toutes ses forces les innovations de Thespis[1] ; Platon, qui usait si largement lui-même de la liberté d’enseignement, aurait voulu que la peinture, la sculpture et la poésie fussent déclarées par les lois à jamais immobiles : « Établissons comme une règle inviolable, dit-il, que quand l’autorité publique aura déterminé et consacré par une loi les chants et les danses qui conviennent à la jeunesse, il ne sera pas plus permis de chanter ou de danser d’une autre manière, qu’il ne l’est de violer une autre loi. Quiconque sera fidèle à cette règle n’aura aucun châtiment à craindre ; mais si quelqu’un s’en écarte, les gardiens des lois, les prêtres et les prêtresses le puniront[2]. » Aux yeux de ce philosophe, l’immutabilité de l’art égyptien était la perfection idéale. Au reste, ce qu’il souhaitait pour Athènes, quelques villes grecques l’avaient établi dans leurs codes. Chez les Thébains, la loi enjoignait aux sculpteurs et aux peintres, sous peine d’amende, l’exacte observation des anciens types[3]. À Sparte, on sait que Terpandre ayant ajouté une corde à la lyre, les éphores condamnèrent cette nouveauté et clouèrent à un mur l’instrument coupable[4]. Plus tard, du temps de Lysandre, Timothée le citharède ayant ajouté deux cordes à sa lyre pour concourir aux jeux carnéens, un des éphores vint un couteau à la main, lui demander de quel côté il préférait que l’on coupât les cordes illégales[5].

Ce fut pour mettre un obstacle à la vulgarisation imminente des arts que le sacerdoce grec, à l’instar de celui d’Égypte, résolut de n’enseigner ses dogmes que sous la promesse du silence et après des épreuves qui leur répondissent de la discrétion des adeptes. L’institution des mystères en Grèce est assurément l’effort le plus puissant et le mieux concerté qu’ait tenté le clergé polythéiste pour conserver sa suprématie, étendre son influence, et, plus tard, quand il fut dépassé de toutes parts, pour déguiser sa défaite. C’est dans la célébration des mystères que le sacerdoce grec concentra toutes ses forces, tous ses moyens de prosélytisme et d’action. Pour nous donc qui

  1. Plutarch., Solon, cap. xxix.
  2. Plat., De legib., lib. vii, pag. 560, A.
  3. Ælian., Var. Hist., iv, 4.
  4. id., ibid. — Boèce (De musicâ, lib. i, cap. i) rapporte ce fait avec d’autres circonstances ; il cite le texte d’un prétendu décret dont Ot. Müller a prouvé la supposition (Doriens, 2e partie, pag. 324 et suiv.). Avant Müller, Heinrich avait élevé des doutes sur l’authenticité de cette pièce dans son Épiménide.
  5. Plutarch., Lac. inst., pag. 238, C. — Pindare a dit poétiquement : La lyre aux sept langues. Nem. v, v. 43.