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sans doute la voix, le geste et le maintien ; 2o  les évocations des mânes[1], qui avaient lieu dans de certains temples des morts (νεκρομαντεῖα), où le prêtre, environné de ténèbres, imitait la voix sépulcrale, et peut-être la marche et le geste du spectre évoqué. Ce spectacle qui, depuis Eschyle jusqu’à Shakspeare, depuis l’apparition de l’ombre de Clytemnestre[2] jusqu’à celle de Banquo ou du père d’Hamlet, a toujours passé pour le plus tragique, était donné dans certains temples. Hérodote raconte comment Périandre, tyran de Corinthe, envoya consulter l’oracle des morts à Thesprotie, sur les bords de l’Achéron, et comment l’ombre de sa femme Mélisse apparut deux fois à ses envoyés[3]. C’est aussi, dans nos livres saints, une belle tragédie de ce genre, que la scène de Saül et de la pythonisse d’Endor et l’apparition de l’ombre de Samuel[4].

SECONDE ÉPOQUE SACERDOTALE. — PROMÉTHÉEE. — RÉSISTANCE DU SACERDOCE À LA VULGARISATION DES ARTS.

La seconde époque du sacerdoce est celle où commence la propagation des sciences et des arts. Dans cette période, les prêtres ne sont plus des demi-dieux ; ce ne sont plus que des hommes, mais choisis long-temps encore dans certaines familles héréditairement dépositaires des traditions sacerdotales[5].

En Grèce, un mythe célèbre a consacré le moment précis où commence cette phase d’émancipation. Prométhée, le dernier des prêtres demi-dieux, fut le grand divulgateur des arts dans la Grèce. Après lui, Dédale, de la famille sacerdotale des Eumolpides, continua l’œuvre d’affranchissement, et perfectionna surtout la sculpture. C’est lui qui détacha les bras et les jambes des statues et qui indiqua la forme des yeux. « Grace à lui, disent les anciens, les statues vivent et marchent. » C’est l’aurore de l’affranchissement de la statuaire. Nous trouverons au moyen-âge l’époque correspondante à celle de Dédale et de l’école d’Égine vers le commencement du xiie siècle.

Bientôt il s’établit des sociétés (θιασῶται), et, comme on disait au moyen-âge, des confréries d’artistes, qui, sous la direction du sacerdoce, brodaient des étoffes, sculptaient le bois ou l’ivoire, doraient les statues[6], peignaient les murs et les colonnes des temples, ciselaient les vases sacrés[7], composaient des hymnes et dansaient en chœur autour des victimes. Long-temps ces écoles de sculpture, de peinture, de musique et de poésie demeurèrent

  1. Fréret, Mémoire sur les oracles rendus par les ames des morts, Acad. des Inscript., tom. XXIII, pag. 174. — Eustath., p. 1667, l. 63. — Plutarch., Non pusse suaviter vivi sec. Ep., pag. 1104 D.
  2. Æschyl., Eumenid., v. 94 seqq.
  3. Herodot., lib. v, cap. XCII. Les Grecs appelaient Mélisses des femmes inspirées attachées au service des temples (Pind., Pyth., IV, v. 106. — Aristoph., Ran., v. 1273). C’est une similitude peut-être notable que celle de ce mot et du nom de la femme de Périandre.
  4. Rois, i, cap. XXVIII. Ces évocations, venues d’Égypte en Judée, étaient sévèrement défendues par la loi mosaïque. Voyez Deuteron., cap. XVIII, 11
  5. Voyez Fréret, Mémoire sur les familles sacerdotales, Acad. des Inscript., ibid., pag. 51 et suiv.
  6. On dorait aussi les offrandes, et même les cornes et les sabots des victimes.
  7. Les vases sacrés portaient gravés l’image et quelquefois le nom du dieu auquel ils étaient consacrés. Plaut., Rud., act. II, sc. V, v. 21.