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ORIGINES DU THÉÂTRE.

les demi-dieux, fils ou nourriciers des grands dieux, ou simples propagateurs de leur culte, quoique voisin de l’évhémérisme, n’offre pourtant pas les mêmes impossibilités. Aussi Fréret, le grand destructeur du système d’Évhémère, approuve-t-il cette explication d’une partie des fables grecques, explication qui dédouble le panthéon hellénique et retrouve dans les divinités inférieures toute l’antique caste sacerdotale.

Fréret distingue, d’après l’autorité d’Hérodote et d’Eschyle[1], trois générations successives de dieux, c’est-à-dire l’établissement en Grèce de trois différens cultes[2] : 1o  celui du Ciel et de la Terre[3]  ; 2o  celui de Cronos, leur fils ; 3o  celui de Jupiter et des dieux de l’olympe homérique.

À ces trois générations divines correspond un nombre égal de races sacerdotales dont les poètes et les mythologues ont fait des génies ou demi-dieux, mais qui n’ont été, en réalité, que les ministres ou les propagateurs des divers cultes, et, ce qui surtout nous importe, les dépositaires des diverses vérités et des divers arts qui constituaient le dogme. Ainsi les Cyclopes, fils, comme les Titans, de la Terre et du Ciel, donnent dans l’Argolide la première idée de l’architecture[4]. Les Cabires de Samothrace, fils ou prêtres de Vulcain, et les Dactyles idéens, prêtres de Jupiter, forgent les premiers le fer[5]. Les Thelchines de Rhodes, fils de la Mer, c’est-à-dire prêtres de Neptune, se prétendent maîtres des élémens ; ils travaillent les premiers l’airain : on leur doit le trident du dieu des mers[6], la faux de Saturne[7] et les premiers simulacres des dieux[8]. Enfin, les Corybantes de Crète, les Curètes phrygiens, pratiquent les premiers la musique et les danses sacrées[9]. Dès-lors, en effet, les cérémonies et les rites ne manquaient pas au culte. Cette première génération sacerdotale éleva des autels[10], construisit des temples[11], qui n’étaient d’abord que de bois[12], sculpta des statues, composa des chants, exécuta des chœurs de danses ; c’était le temps des devins, des oracles, des merveilles en tous genres, témoins les trépieds mouvans de Vulcain[13], les chênes prophétiques[14] et les colombes parlantes de Dodone[15].

On ne s’attend pas, sans doute, à me voir chercher le drame dans cette époque fabuleuse où tout est ténèbres. Je ne puis cependant m’empêcher de faire remarquer dès-lors deux pratiques sacerdotales qui ont un caractère profondément dramatique : 1o  les réponses des oracles, dans lesquelles le prêtre ou la prêtresse parlaient en inspirés, au nom du dieu dont ils prenaient

  1. Herod., lib. ii, cap. 53 et 146. — Æschyl., Prometh. et Eumenid., passim.
  2. Hist. de l’Acad. des inscript., tom. xxiii, pag. 25.
  3. Hesiod., Theog., v. 45 seqq.
  4. Strab., lib. viii, pag. 373, A.
  5. Marm. Oxon., epoch. xi.
  6. Eustath., pag. 771, 55, seqq.
  7. Strab., lib. xiv, pag. 654, A.
  8. Diodor., lib. v, § 55, tom. i, pag. 374.
  9. Strab., lib. x, pag. 468, C.
  10. Voyez la description de l’ancien autel de Jupiter à Olympie, fait de la cendre des victimes. Pausan., Eliac., cap. xiii, 5 ; Plutarch., De orac. defect., pag. 433, B.
  11. Marm. Oxon., epoch. iv et ix.
  12. L’incendie de plusieurs anciens temples le prouve.
  13. Hom., Iliad. xviii, v. 373 seqq.
  14. Hom., Odyss. xiv, v. 327. Æsch., Prometh., v. 828. — Voyez sur les prêtres de Dodone, adorateurs des chênes comme les druides, un Mémoire du président de Brosses, Acad. des Inscript., tom. xxxv, pag. 89.
  15. Hérodote (lib. ii, cap. lv) et Strabon (lib. vii, B, pag. 329) expliquent cette croyance populaire.