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ORIGINES DU THÉÂTRE.

DU GÉNIE DRAMATIQUE EN GRÈCE AVANT L’ÈRE VULGAIRE
i.
Du drame hiératique.

Bien qu’on en ait dit, l’œuvre de tout sacerdoce est l’amélioration de la destinée physique et morale des nations. Dans tous les pays du monde, les peuples, au sortir de l’état sauvage, passent par une phase de civilisation qu’il faut appeler sacerdotale, parce que, pendant cette première période, les lois, les mœurs, les arts, tout le gouvernement intellectuel et social relèvent directement et exclusivement du sacerdoce.

Ce qui rend confuse et difficile l’étude de ces premières époques, c’est que si, d’une part, tout sacerdoce est naturellement civilisateur, si l’influence hiératique s’accroît en proportion des bienfaits que le clergé répand par la pratique des sciences et des arts ; d’une autre part, le sacerdoce a un grand intérêt de corps à demeurer seul dépositaire des procédés artistiques, et, par suite, à retarder de tout son pouvoir la vulgarisation des connaissances qu’il possède. Il y a donc à étudier dans les époques hiératiques une double action sacerdotale, et qui semble, au premier aspect, contradictoire ; d’abord un mouvement pédagogique et civilisateur, ensuite une résistance égoïste à la complète émancipation des masses. Et, ce qui n’est pas moins remarquable, la seconde période, celle de la vulgarisation et de la liberté des arts, sera d’autant plus brillante et plus féconde en merveilles, que l’époque religieuse aura été plus forte, plus puissante, plus longuement et plus habilement comprimante.

Voyons comment les choses se sont passées en Grèce,

Ire ÉPOQUE SACERDOTALE. – PRÊTRES DEMI-DIEUX. — ARTS HIÉRATIQUES.

Tout le monde convient que les arts et la civilisation de la Grèce portent l’empreinte la plus profonde du génie religieux[1] ; et, en même temps, l’on s’étonne de ne pas trouver dans l’hellénisme les deux choses qui créent et qui maintiennent la puissance sacerdotale, à savoir l’unité de dogme et une hiérarchie fortement constituée. En effet, on ne voit pas qu’un même symbole ait jamais réuni les croyans de la Hellade. Les poésies d’Homère et d’Hésiode, qui forment en quelque sorte la Bible du polythéisme, sont loin d’offrir un système de théologie compact et homogène. Nous voyons bien en Grèce des prêtres et des prêtresses, des devins et des oracles ; mais nous n’y

  1. La plupart des institutions civiles et politiques étaient fondées sur les oracles de Dodone ou de Delphes. Voyez Demosth., in. Mid., pag. 611, B, seqq.