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ORIGINES DU THÉÂTRE.

être un admirable drame, témoin la Magicienne de Théocrite. D’ailleurs, beaucoup d’ouvrages dialogués ne sont pas des drames. Sans parler des Dialogues de Platon et de Lucien, Théophylacte ouvre son histoire de Phocas et de Maurice par un dialogue remarquable entre la philosophie et l’histoire[1]. Un chroniqueur polonais, Kadlubek, a écrit en dialogues, aux XIIe et XIIIe siècles, l’histoire des rois de Pologne[2]. Plusieurs marbres et pierres gravées antiques offrent pour légendes de courts dialogues[3]. Toutes ces choses relèvent bien quelque peu du génie dramatique, mais ne sont pas le drame. Ce ne sont pas les monumens que je promets aux lecteurs et que je recherche. Qu’est-ce donc que le drame ? J’appelle ainsi tout ouvrage où le poète, mettant de côté sa personnalité, parle et agit ou fait agir et parler des acteurs au nom de personnages fictifs, dans le but d’exciter la curiosité et la sympathie d’un auditoire. Toutes les fois que je rencontrerai ces caractères réunis, quels que soient le lieu, les acteurs et l’assemblée, je me croirai sûr d’avoir rencontré, sinon une pièce de théâtre, du moins un produit du génie dramatique, un drame. .........


Si, comme j’ai essayé de l’établir, le génie mimique est spontané, universel ; si l’homme naît avec l’instinct de l’imitation, et s’il use de la faculté du drame comme de toutes les autres facultés naturelles, de la marche ou de la parole, par exemple, on m’objectera que pour étudier les origines du théâtre moderne, il est superflu de nous enquérir des origines du théâtre antique.

À cela je répondrai : il est bien vrai que l’instinct d’imitation et le génie dramatique sont universels et aussi naturels à l’homme que le génie épique ou lyrique ; il est bien vrai que dans toutes les questions, soit historiques, soit littéraires, il faut faire une large part à la spontanéité humaine. Tout demander au passé serait tomber dans l’erreur de ceux qui croient que les Basques, par exemple, ne sauraient pas danser, s’ils n’avaient reçu cet art des Romains, des Celtes ou des Goths. Je reconnais et je proclame la grande loi de la spontanéité, d’où surgit dans les arts l’élément original et dans la société le progrès ; mais à côté de cette loi, il en existe une autre, la loi de tradition. Dans tout ce que crée l’homme, il entre nécessairement une portion du passé. Déterminer cette portion est quelquefois le moyen le plus sûr de dégager les élémens nouveaux et inconnus. Tout dans l’histoire du genre humain se lie et s’enchaîne. Le christianisme, il est vrai, a changé les bases de l’art comme celles de la politique et de la morale ; mais le christianisme lui-même ne peut ni s’étudier, ni se comprendre indépendamment du polythéisme. Il y a eu succession, transformation, transaction même. Le polythéisme s’est tellement prolongé dans le christianisme ; l’ancien courant, avant de se perdre et de se confondre dans le nouveau fleuve, s’est si long-temps

  1. Theophylact. Simoc., inter Bysant. script., tom. I, pages 1 seqq.
  2. Vincent Kadlubko vel Kadlubek, Res gestæ principum et regum Poloniæ, Varsoviæ, 1824.
  3. Voyez un article de M. de Villoison dans le Magasin encyclopédique, 7e année, tom. ii, pag. 451.