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REVUE. — CHRONIQUE.

grandeur et de l’importance de ce projet ; et en même temps il suffit de suivre d’un coup-d’œil les cours des grands fleuves de l’Europe, pour reconnaître la possibilité de son exécution rapide. Unir par une ligne navigable Paris, le Hâvre et Constantinople, semble d’abord un rêve ; mais la ligne de navigation du Hâvre à Paris se trouve déjà tracée, et elle doit recevoir prochainement de grandes améliorations. Des fonds considérables ont été votés dans la session dernière pour le perfectionnement de celle de Paris à Vitry-le-Français par la Marne ; enfin le ministère demande l’autorisation d’ouvrir un canal entre Vitry et Strasbourg, c’est-à-dire de joindre la Marne au Rhin. De là la ligne de communication entre la France et la Turquie, par le centre de l’Europe, est presque une ligne droite, et déjà faite, en suivant le cours du Rhin jusqu’à Francfort, et le cours du Mein depuis Francfort jusqu’à Bamberg.

On s’occupe en Allemagne, dit le projet ministériel, d’un canal de jonction du Rhin au Danube entre Strasbourg et Ulm ; mais, sans nous arrêter à ce projet, nous devons faire remarquer qu’un canal est déjà tracé du Mein, ce vaste fleuve, au Danube, ce fleuve plus vaste encore. Ce canal s’étend de Bamberg jusqu’à Kelheim, près de Ratisbonne, distance très courte, et depuis Kelheim le Danube coupe majestueusement l’Autriche, la Hongrie, la Servie et la Valachie, jusqu’à Rassova, d’où un canal de peu de lieues, déjà projeté, versera le Danube dans la mer Noire, entre Odessa et Constantinople, à une demi-journée de navigation de ces deux ports. On se demande où l’on pourrait trouver une pensée plus simple que celle-ci. Une barque et une voile suffiront pour mener, sans transbordement, des marchandises du Havre à la mer Noire, cette mer fermée, qui se trouvera avoir ainsi deux portes, l’une pour la guerre aux Dardanelles, l’autre pour la paix et le commerce à Rassova par le Danube. C’est bien cette fois que la question de navigation de la mer Noire deviendra européenne, et que la France se trouvera avoir des liens communs avec toutes les puissances centrales de l’Europe. Un seul gouvernement nous paraît, dans son système actuel, intéressé à l’inexécution de ce projet. C’est la Russie. Ne serait-il pas bien curieux maintenant que ce fût la France qui s’y opposât ? — Au reste, que la France comprenne ou ne comprenne pas ses intérêts véritables, qu’elle soit aveugle ou clairvoyante, que son regard ne se porte pas au-delà de sa frontière où qu’elle voie son avenir, la navigation du Rhin à la mer Noire est une pensée déjà en voie d’exécution, qui s’accomplira d’une manière surprenante. Le Danube offre, depuis plusieurs années, à l’Autriche, des ressources qui l’excitent à lui demander davantage. Depuis son embouchure jusqu’à Vienne, les bords du fleuve, couverts de forêts, fournissent d’excellens bois de construction ; et près d’Orsova ainsi que dans la partie inférieure du fleuve, existent des mines de charbon de terre qui approvisionnent déjà les paquebots du Danube, tandis que les paquebots de la Méditerranée, où l’Autriche a une marine, sont forcés d’acheter, à de très hauts prix, à Livourne et à Gênes, des charbons de Newcastle et de Durham. Le Wurtemberg, le duché de Baden, ce petit état où coulent les deux plus grands fleuves du monde, après le Danube, feront des efforts inouis pour l’union de leurs fleuves à ce roi des fleuves ; et n’a-t-on pas entendu s’élever tout récemment, en Allemagne, la proposition de créer une marine germanique qui protégerait tous les intérêts allemands de la grande association de douanes prussiennes ? Nous disions tout à l’heure que les projets de lois