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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

culture ? La plupart des communes sont si pauvres[1] et leurs revenus si mesquins ! Ne pourrait-on pas prendre au budget quelques fonds pour ajouter aux revenus des communes agricoles les plus misérables, afin qu’elles fussent en position de réaliser quelques améliorations utiles ? Ne pourrait-on pas, afin de faire cesser en partie les scandaleuses et inutiles élucubrations de la chicane et des gens de loi, établir dans chaque commune ou canton, une sorte de prud’homme agricole qui terminerait, sans procédure et sans frais, d’après le droit naturel et l’équité, les contestations entre les propriétaires cultivateurs et leurs aides ou sous-aides ? Ne pourrait-on pas, sous l’influence de l’administration, tendre à associer de plus en plus ces derniers avec le propriétaire cultivateur, les amener au système d’association des marins et des pêcheurs, c’est-à-dire à cultiver à la part, comme on navigue à la part ?

Je le répète, je n’ai voulu tracer aucun plan d’organisation, mais seulement suggérer quelques idées aux hommes politiques. Deux choses me paraissent démontrées : 1o  que le progrès doit s’opérer dans le sens de l’association ; 2o  que l’association doit reposer sur la base la plus large possible, c’est-à-dire sur le gouvernement. Je pense, avec M. Léon Faucher, auteur d’un excellent travail, inséré dans cette Revue, sur les tendances de la propriété en France, qu’il faut diviser la possession et concentrer l’exploitation, combiner la petite propriété avec la grande culture, morceler la propriété sans morceler le sol ; mais je crois que ce double résultat ne peut être obtenu que par l’unité gouvernementale. Quand on songe que l’Égypte entière n’est qu’une grande ferme dirigée par un seul homme, tandis qu’en France, il y a 124 millions de parcelles de terrain exploitées par plus de 11 millions de propriétaires, qui n’ont entre eux d’autre lien que celui de l’impôt, on sent vivement le besoin d’une unité puissante Cette vaste unité, loin de détruire la propriété, lui donnerait au contraire de nouveaux développemens, en augmentant la richesse générale, et en faisant jouir chacun plus complètement du fruit de son travail. Les progrès fractionnaires de la propriété sont ordinairement violens et orageux ; ce sont des réformes qui ne s’obtiennent que par la lutte, et par le sacrifice de quelques-uns : l’unité que nous pressentons doit s’accomplir pacifiquement, parce que les intérêts de tous s’y trouveront harmonisés, et que personne ne sera sacrifié, ni ne se sacrifiera ; car les temps de la victime et de l’holocauste sont passés, et tout progrès nouveau doit concilier le devoir et l’intérêt.


A. Colin.
  1. Sur 38,000 communes, plus de 33,000 renferment moins de 1,500 habitans, et 3,000 en ont moins de 200.
    3,528 communes ont moins de 100 fr. de revenus.
    6,196 ont un revenu de 100 à 200 fr.
    10,961 ——— 200 à 500
    16,742 ——— 300 à 10,000
    87 ——— supérieur à 100,000 fr.