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terrain, possédées par 11 millions de propriétaires. Sur ces 11 millions de cotes inscrites aux rôles de la contribution foncière, on en compte 8 millions au-dessous de 20 francs. Ce morcellement des propriétés ne sert qu’à enrichir les gens de loi, et à créer dans les campagnes une nouvelle aristocratie, celle de la chicane. Pour cultiver leurs terres, tous ces petits propriétaires sont obligés d’emprunter ; et il existe déjà, sur plus de 80 millions de parcelles, 5 millions d’inscriptions, formant un capital de 12 milliards d’hypothèques Si le petit cultivateur n’est pas obligé, comme le fermier, de payer la redevance au propriétaire, il la paie au prêteur, bien plus inexorable. Les prêteurs, comme les propriétaires, ont dans leurs mains l’arme de l’expropriation. Chaque cultivateur ne cherche à devenir propriétaire que pour échapper à la redevance du fermage ; et, après avoir acheté une parcelle de terre avec le fruit de ses labeurs accumulés, il retombe bien vite sous la redevance du prêteur. Il est donc dans un cercle vicieux. L’agriculture, en France, est dans une impasse ; la richesse territoriale doit rester stationnaire et peut-être décroître, si une grande réorganisation ne s’opère.

Je ne veux formuler ici aucun système. Je sens combien, sur un pareil sujet, la prudence et la réserve conviennent même à l’homme qui est le plus vivement pénétré des besoins de notre agriculture. Je suis bien loin de vouloir présenter les réformes de Mohammed-Ali comme un modèle à suivre en France ; j’ai dit combien il y a eu d’injustice dans le mode qu’il a employé ; je ne me suis pas dissimulé que ce n’est point dans l’intérêt des classes pauvres que ces réformes ont été opérées, mais dans un but plus spécialement personnel. Pourtant je ne puis m’empêcher d’appeler l’attention des publicistes sur ces trois grands faits : 1o la constitution nouvelle de la propriété en Égypte s’est opérée dans le sens de l’unité ; 2o cette grande réforme a eu lieu par le gouvernement ; 3o elle a produit une augmentation de richesse, malgré la diminution du nombre des travailleurs. Que serait-ce donc si Mohammed-Ali n’eût pas enlevé déjà plus de 300 mille bras à l’agriculture, si des épidémies n’eussent pas moissonné plus de 500 mille ames en Égypte, et si tous les bénéfices résultant de la constitution nouvelle, étaient restés entre les mains des cultivateurs, et avaient servi à perfectionner les moyens de culture !

Serait-il donc impossible, en France, d’aider le cultivateur, comme fait Mohammed-Ali en Égypte ? Ne pourrait-on pas établir des banques agricoles, pour délivrer le petit propriétaire de l’ulcère rongeur de l’hypothèque ? Serait-il si difficile d’avoir des fermes centrales[1], des magasins agricoles, où l’on prêterait ou louerait des ustensiles et instrumens aratoires, des bestiaux ou autres objets, dont plusieurs pourraient successivement se servir ? où l’on ferait des avances en semis, plants, pailles, fourrages, engrais ? Ces établissemens coûteraient-ils donc beaucoup à l’état, ou plutôt ne seraient-ils pas une source de revenus pour le trésor ? À côté de tant d’autres libéralités, n’est-il pas déplorable que 500,000 francs seulement soient votés pour encouragement à l’agri-

  1. Il y a maintenant en France : 260 comices agricoles ; — 119 sociétés d’agriculture ; — 12 fermes-modèles ; — 18 dépôts d’étalons ; — 3 haras de pur sang.