Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/673

Cette page a été validée par deux contributeurs.
669
LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

années. exportations. importations.
1830. 34,613,300 francs 35,144,800 francs
1831 41,251,400 39,200,500
1832 30,806,000 36,788,000
1833 37,915,000 36,485,500
1834 36,048,900 53,746,500
1835 54,187,200 52,133,000
1836 55,687,000 71,817,000

Le chiffre progressif de l’importation prouve que la consommation augmente, et que, par conséquent, la position du travailleur s’améliore. Le bien-être descendra peu à peu dans les classes inférieures. Mohammed-Ali ayant été l’auteur du progrès, il est juste qu’il en profite d’abord. Il ne l’a même réalisé que parce qu’il savait qu’il en profiterait et ce n’est point là un sentiment immoral, irréligieux. Les rois ne doivent pas plus se sacrifier aux peuples que les peuples aux rois. Certaines doctrines veulent faire des souverains autant de Christ sur la croix ; d’autres voudraient faire des peuples de continuels martyrs : c’est le moyen d’avoir des révolutions éternelles. Grâce à Dieu, l’intérêt des souverains et l’intérêt des peuples est plus identique qu’on ne pense. Mohammed-Ali, en augmentant sa richesse, a augmenté celle de son peuple. Ses grandes créations resteront. L’argent seul employé à la guerre paraît entièrement perdu ; mais il aura servi à réveiller chez l’Égyptien le sentiment de l’indépendance et de l’énergie nationale, qui a plus d’affinité qu’on ne pense avec l’énergie industrielle. Je sais que presque tous les Européens qui voyagent en Égypte ne cessent de s’apitoyer sur la misère du pays ; mais ce qui les induit en erreur, c’est qu’ils comparent involontairement l’état du peuple en Europe à l’état des fellahs en Égypte, au lieu de comparer l’état antérieur des Égyptiens à leur état actuel. Malgré tout ce qu’on pourra dire, l’Égypte est certainement plus riche et plus heureuse aujourd’hui que sous la domination des Mamelouks, et même sous celle des Français, qui, au milieu des troubles de la guerre, ne purent rien constituer.

Que conclure de tout ceci ? Que cette constitution de la propriété est parfaite, et que la France doit se hâter de l’adopter, si elle veut échapper à la crise qui la tourmente ? Non, sans doute ; j’en conclurai seulement qu’il s’y trouve des élémens de progrès qui manquent complètement dans les organisations européennes, bien plus parfaites sous d’autres rapports. Ainsi, l’identité de la politique et de l’industrie est un fait immense, à peine soupçonné de l’Occident, et qui existe pourtant en Égypte. La relation immédiate établie entre le cultivateur et le gouvernement, le caractère quasi-usufruitier de la possession des terres, sont des points qui doivent fixer l’attention des publicistes.

Certes, s’il y a aujourd’hui un progrès possible pour la propriété et l’agriculture en France, il faut le chercher dans la voie de l’association. La division des propriétés a atteint une limite funeste à la production. Cette division a été d’abord la cause d’un progrès réel, par l’exaltation qu’elle a donnée à la personnalité et à l’énergie individuelle ; mais aujourd’hui elle est un principe de retardement et de ruine. On compte, en France, 124 millions de parcelles de