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ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

haute importance, et que la curiosité, d’abord vivement excitée, ne se trouvant pas satisfaite, provoque dans l’esprit du lecteur une sévérité inévitable. Pour juger impartialement les acteurs de cette tragédie singulière qui a passé presque inaperçue dans le récit du règne de Louis XIV, mais qui cependant, comme nous l’avons montré, n’a pas été omise dans les mémoires des contemporains, il faut consentir à effacer de sa mémoire les préfaces interminables et innombrables qui servent comme de piqueurs à toutes les figures qui passent sous nos yeux. Nous nous résignons de bonne grâce à cet oubli, car nous voulons offrir à l’auteur de Latréaumont toutes les chances d’une épreuve loyale.

Or, nous avons vu avec regret le caractère de Louis XIV réduit à deux élémens fort simples assurément, et enregistrés par l’histoire, mais qui sont loin, à notre avis du moins, de composer le personnage entier. M. Sue ne voit dans Louis XIV que l’égoïsme et la brutalité. Il nous semble que ces deux vices ne suffisent pas à expliquer tous les évènemens accomplis en France et en Europe, par l’intervention de la France, depuis 1652 jusqu’en 1715. Que Louis XIV fût égoïste et brutal, qu’il fût puérilement jaloux de tous les hommes de sa cour, et qu’il traitât ses maîtresses comme une chose dévouée à ses plaisirs, nous ne songeons pas à le nier ; car, malgré les pompeux récits tracés par la main de courtisans, à l’appui des vices que M. Sue prête à Louis XIV, les témoignages abondent. Cependant le roi gourmand, grossier, impérieux, n’est pas le roi de l’histoire, mais seulement le roi de Versailles et de Fontainebleau. La France et l’Europe qui n’assistaient pas au petit lever de Louis XIV, qui n’étaient conviées ni à sa table, ni à son jeu, ni à ses parties de chasse, étaient forcées de voir en lui autre chose que l’égoïsme et la gourmandise. Le devoir du romancier, même en racontant des scènes où la politique ne joue pas le premier rôle, était de ne pas effacer, de ne pas rejeter dans l’ombre les qualités qui assurent à Louis XIV un rang si glorieux dans l’histoire. Quelles que soient les fautes commises par l’élève de Mazarin, quelles que soient les railleries qu’il ait méritées, par son ignorance et son entêtement de la part de ses ministres et de ses ambassadeurs, il est impossible néanmoins de ne voir en lui qu’un homme vulgaire, et l’amour le plus passionné pour les institutions démocratiques n’excuserait pas une pareille injustice. Nous inclinons à penser que M. Sue, en traçant le portrait de Louis XIV, a cédé au désir de le présenter sous une face nouvelle, plutôt qu’à un sentiment de haine contre la monarchie absolue. À notre avis, le désir d’être nouveau l’a égaré bien