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remplir cette fonction, un fellah sachant lire et écrire ; il prenait note des droits payés, et tenait la comptabilité des fellahs vis-à-vis le moubâchir et le saraf. Il y avait enfin un kôli ou arpenteur ; c’était lui qui mesurait les portions de terres que l’inondation n’avait pas arrosées, et qui devaient, pour ce motif, être exemptes de l’impôt et de la redevance ; il était aussi chargé de la délimitation des propriétés des moultézims et de celle des exploitations particulières des fellahs. Les fonctions du châhid et du kôli étaient à vie, car elles exigeaient des connaissances spéciales que les autres cultivateurs n’avaient pas.

Au-dessus de ces fonctionnaires spéciaux s’élevait le gouvernement politique. Il était, comme on sait, entre les mains des beys mamelouks. Le territoire de l’Égypte était divisé en quatorze provinces ou beyliks ; à la tête de chacune d’elles était placé un bey. Les beys ne gardaient qu’une année le commandement de leur province ; on ne voulait pas les y laisser prendre racine, de peur qu’ils ne se rendissent indépendans. Les fonctions des beys consistaient à maintenir la police, à vider les différends de village à village, à défendre les cultivateurs contre les Bédouins, à protéger les intendans des moultézims dans le recouvrement de leurs revenus. Tous les beys étaient moultézims, mais ils ne se contentaient pas du revenu de leurs propriétés et, comme il leur était permis de frapper des impôts, ils profitaient ordinairement de leur courte administration pour s’enrichir, en imaginant toutes sortes de taxes arbitraires. Un bey avait quelquefois jusqu’à vingt kâchefs ou lieutenans, qui l’aidaient dans son administration, et surtout dans ses exactions. Le bey habitait le chef-lieu de la province ; mais il n’y passait que trois ou quatre mois, incessamment attiré par l’ambition et l’intrigue vers la capitale, où les changemens annuels opérés au sommet de la hiérarchie avaient transporté le théâtre des luttes et des partis. Mais, pendant que le bey était au Kaire, entraîné dans le tourbillon des intrigues, ses kâchefs parcouraient sa province, avec leurs Mamelouks, et y exerçaient le plus absolu despotisme. Dans plusieurs villages, il y avait aussi des kaïmakans ou commandans de place, nommés par les beys. Ils habitaient la maison seigneuriale ; leurs fonctions, dans le village où ils commandaient, étaient les mêmes que celles des beys dans la province qu’ils gouvernaient. Outre la paie qu’ils recevaient des beys, ils contraignaient encore les fellahs à leur donner la plupart des denrées dont ils avaient besoin. Ils se montraient les agens les plus actifs des exactions des beys. À l’époque de la conquête des Français, les différentes taxes levées par les beys sur les fellahs, étaient au nombre de vingt-quatre : elles avaient été établies progressivement, et la plupart étaient basées sur les motifs les plus frivoles. Quant aux avanies, aux exactions, aux corvées, à toutes les contributions accidentelles d’argent ou de travail, que le gouvernement des beys imposait aux cultivateurs égyptiens, il serait impossible d’en faire l’énumération Les choses en étaient venues à un tel point, que les fellahs, pour ne pas être dépouillés, ne cultivaient plus que quelques céréales, quelques fèves pour leur nourriture, et qu’il fallait les faire travailler à coups de kourbach. Quant aux beys et à leurs agens, ils s’enrichis-