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résultat d’une superposition de peuples opérée par la conquête. En Occident, les exploitations se morcellent, et les propriétés ne restent pas toujours aux mêmes familles ; en Grèce et à Rome, on réclame le partage des terres conquises dans l’origine et demeurées la propriété de l’état ; au moyen-âge, le commerce et le crédit se développent, les croisades contribuent à la division des héritages, les capitaux mobiliers s’échangent contre les capitaux immobiliers ; enfin, les révolutions modernes opèrent une sorte de pulvérisation du système de propriété.

Le mode d’agglomération, où prédomine le fait social, est plus spécialement oriental ; le mode de division, où prédomine le fait individuel, est plus spécialement occidental. L’harmonie progressive de ces deux principes, telle est la loi de la propriété.

Mahomet a dit : « La terre appartient à Dieu et au souverain qui en est le représentant. » C’est un milieu entre le système d’Orient et celui d’Occident. La première partie de la formule : « La terre appartient à Dieu, exprime l’antique unité orientale, l’unité de la propriété humaine, l’association confuse d’exploitation et de travail ; mais la seconde partie « et au souverain qui en est le représentant, » réintègre dans la constitution de la propriété, la multiplicité occidentale ; car, au souverain, à l’homme, à la loi vivante, est confiée la fonction de répartir et de diviser, de créer la propriété individuelle, de faire justice. C’est en vertu de ce droit que, dès l’origine, le prophète procédait au partage des terres conquises et des richesses mobilières que la victoire avait départies aux croyans. Tout cela était l’application du grand principe : « À chacun selon son mérite, et selon son œuvre particulière dans l’œuvre commune. » Continuateurs du prophète, les kalifes firent les mêmes répartitions. On créa ensuite l’institution du mékémeh, qui, au nom du souverain, veilla à la juste transmission des propriétés. Bien que le prophète recommande à chacun de garder sa terre, sa maison, ou son meuble, il n’en prohibe pas cependant la vente ou l’échange. Quant aux produits immédiats du travail, l’échange était nécessaire et constituait le commerce, qu’il laissa entièrement libre, en défendant toutefois aux capitalistes qui auraient amassé des valeurs d’or ou d’argent, de les prêter à intérêts. On dirait que Mahomet, qui, certes, connaissait le cœur humain, avait pressenti les abus du crédit, et qu’il a voulu en préserver ses peuples.

S’appuyant sur la formule du Koran, trouvant d’ailleurs les Égyptiens prédisposés à l’antique confusion de la propriété, Mohammed-Ali a établi une constitution agricole où prédomine l’élément unitaire et oriental.

On a comparé Mohammed-Ali à Louis XI, en ce sens que tous deux avaient abattu la féodalité militaire. La constitution politique et territoriale, sous les Mamelouks, était en effet une sorte de féodalité assez semblable à celle qui existait en France, sous le règne de Louis XI. Mais, en Égypte, il n’y avait pas hiérarchie et indépendance entre les vassaux ; ils étaient tous égaux en droit, sinon en richesse ; ils ne relevaient que d’une autorité lointaine, le divan de Constantinople. Ils luttaient constamment entre eux, pour atteindre au