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LES CÉSARS.

« Claude était ravi d’entendre son éloge, et ne demandait pas mieux que d’en voir davantage. Talthybius, le messager des dieux, le saisit, lui jette un voile sur la tête, et, en passant entre le Tibre et la via recta, le mène aux enfers. Narcisse, le maître de son maître, qui avait pris un chemin plus court, arrive au-devant de son patron, frais et paré comme un homme qui vient des bains. « Que vient faire un dieu chez les hommes ? — Dépêche-toi, lui dit Mercure, annonce-nous. » La route qui mène aux enfers est une pente douce. Narcisse, tout goutteux qu’il est, est bientôt aux portes de Pluton. Il crie à haute voix : « Voici venir Claudius César ! » Aussitôt une foule s’avance en chantant : « Il est retrouvé, réjouissons-nous ! » C’étaient Silius, Trallus, tous les proscrits de Claude ; Polybe, Myron, ses affranchis, qu’il avait envoyés en avant pour le dignement recevoir ; ses deux préfets du prétoire, ses amis, ses deux nièces, son gendre, son beau-père, toute sa famille. Claude, en les voyant, s’écrie avec le poète : « Tout est plein d’amis ! Mais comment êtes-vous ici ? dites-moi. — Malheureux, lui dit Pompée, assassin de tes amis, qui nous envoya ici-bas, si ce n’est toi ? Nous sommes nombreux comme le sable de la mer. Mais arrête, viens devant le juge. » Claude regarde, cherche un avocat. P. Petronius, son ancien commensal, qui parle avec faconde la langue de Claude, se présente pour le défendre. Éaque, le juge des enfers, refuse de l’écouter, n’entend que l’accusateur, et condamne Claude selon la loi Cornelia contre les assassins. Ce n’était que justice ; mais le procédé parut inoui. Claude seul le trouva dur, non pas nouveau. On discute sur la peine ; on veut que Claude remplace Sisyphe auprès de son rocher, ou Ixion sur sa roue. Mais ces vétérans de l’enfer n’ont pas encore gagné leur retraite, Éaque condamne Claude à jouer aux dés avec un cornet sans fond. Claude secoue son cornet, les dés lui échappent, les dés lui passent entre les doigts ; le pauvre homme n’y peut rien comprendre. Survient Caligula, qui jure que Claude est son esclave ; des témoins affirment, en effet, que Caligula l’a battu, fouetté, souffleté. On l’adjuge à Caligula, qui le passe à son affranchi Ménandre ; Ménandre, qui a beaucoup de procès à juger, en fait son assesseur. »

Telle est cette facétie du philosophe. Diderot, qui, je ne sais pourquoi, avait pris Sénèque pour son héros, est fort contrarié du rapprochement de cette facétie avec la consolation à Polybe. Cela le trouble beaucoup, et il donne vingt raisons au lieu d’une bonne pour sauver l’honneur de son philosophe. Juste Lipse aussi voudrait bien nier que la consolation soit de Sénèque, mais il ne peut. Honte !