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LES CÉSARS.

passe, eux et tous les mortels, par sa sagesse, je suis d’avis qu’à partir de ce jour Claude soit dieu sur le pied des dieux les plus favorisés, et qu’on ajoute sa déification aux Métamorphoses d’Ovide. »

« Les avis se partageaient ; Hercule, battant le fer pendant qu’il était chaud, allait et venait d’un banc à un autre. Ne me faites pas de tort, c’est une affaire dont j’ai fait la mienne ; une autre fois je vous rendrai pareil service ; une main lave l’autre. » On penchait pour Claude. Mais le dieu Auguste prit la parole : « Pères conscrits, je vous prends à témoin que depuis que je suis dieu, je n’ai pas prononcé une parole ; mais je ne puis aujourd’hui taire ma pensée et contenir une douleur que la honte augmente. Voilà donc pourquoi j’ai donné la paix à la terre et à l’océan ! pourquoi j’ai apaisé les guerres civiles ! pourquoi j’ai affermi Rome par mes lois ! pourquoi je l’ai embellie de mes monumens ! Les paroles me manquent, pères conscrits ; il n’en est pas qui puisse suffire à mon indignation. Cet homme qui ne semblait pas digne d’éveiller une mouche, tuait les hommes comme un chien mange des croûtes. Ce malheureux que vous voyez là, toujours caché autrefois sous l’ombre de ma puissance, a reconnu mes bienfaits en faisant périr mon petit-fils Silanus, les deux Julies, mes petites-filles. Vois, Jupiter, cet homme doit-il entrer parmi nous ? Dis-moi, dieu Claudius, quand tu as fait périr tant d’hommes et de femmes, en as-tu entendu un seul ? As-tu débattu une seule cause ? Est-ce ainsi que l’on condamne ? Non pas au ciel du moins : Jupiter, qui règne depuis tant d’années, n’a jamais fait que casser la jambe à Vulcain,

Qu’il saisit par un pied et lança de l’Olympe,


comme dit Homère. Irrité contre sa femme, il l’a pendue, une enclume aux pieds ; il ne l’a pas tuée. N’as-tu pas fait mourir Messaline, ma nièce ? — Tu n’en sais rien, dis-tu ? Les dieux te maudissent ; il est plus honteux encore de ne pas le savoir que de l’avoir fait. Voyez comme il a bien imité Caligula ! Caligula a tué son beau-père ; Claude a tué son beau-père et son gendre. Caligula avait ôté à Pompée le surnom de grand ; Claude le lui rend et le fait mourir. Dans la même famille, il a tué Crassus, Pompée, Scribonia, Tristionia, Assarion, tous nobles gens, et Crassus assez sot pour devenir empereur à son tour. Voyez le monstrueux personnage que vous allez admettre parmi les dieux ! Voyez ce corps pétri de la main d’un mauvais génie ! Qu’il dise seulement trois mots sans bégayer, et je suis son esclave ! Qui adorera un tel dieu ? Qui pourra croire en lui ? Vous croira-t-on dieux encore, si vous faites des dieux pareils ? En un mot,