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LES CÉSARS.

César ; tant que César vit, tu ne peux te plaindre de la fortune ; lui sain et sauf, tu n’as rien perdu, tu as tout en lui, il te tient lieu de tout. Tes yeux non seulement ne doivent pas être pleins de larmes, ils doivent être pleins de joie… Non, Polybe, tu ne dois pas pleurer ; trop de malheureux attendent de toi que tu fasses entendre au cœur de César le langage de leurs pleurs ; il faut sécher les tiens. Depuis que César s’est consacré au monde, il s’est ravi à lui-même, et, comme les astres qui suivent sans s’arrêter le cours de leur révolution, il ne peut ni s’arrêter en aucun lieu, ni s’attacher à aucun lien. Il en est de même de toi, tu n’es libre de te livrer ni à tes intérêts, ni à tes affections. Comme Atlas, dont les épaules portent le monde, rien ne doit te faire plier… César est toute force et toute consolation pour toi. Relève-toi, et quand les larmes naissent dans tes yeux, dirige tes yeux vers César, l’aspect du dieu sèchera tes larmes ; sa splendeur arrêtera tes regards et ne leur laissera voir rien autre que lui-même. Que les dieux et les déesses laissent long-temps à la terre celui qu’ils lui ont prêté ! tant qu’il sera mortel, que rien dans sa famille ne lui rappelle la nécessité de la mort ! que seuls nos neveux connaissent le jour où sa postérité commencera à l’adorer dans le ciel ! Fortune, n’approche pas de lui, laisse-le porter remède aux longues souffrances du genre humain ; que cet astre luise toujours sur le monde, qui, précipité dans un abîme de ténèbres, a été consolé par sa lumière ! » Puis, faisant un retour sur lui-même, le rhéteur ajoute « Que je puisse être spectateur de ses triomphes ; oui, sa clémence me le promet. En me renversant, il n’a pas renoncé à me relever ; et même il ne m’a pas renversé, il m’a soutenu contre la fortune qui m’écrasait ; sa main divine a adouci ma chute… Quelle que soit ma cause, sa justice la reconnaîtra bonne, ou la clémence la rendra telle ; il saura que je suis innocent, ou il voudra que je le sois. En attendant, ma grande consolation dans mes misères est de voir son pardon parcourir le monde ; de ce recoin même où je suis enterré, il a retiré d’autres exilés depuis long-temps ensevelis. L’heure de sa justice viendra pour moi. Bénie soit la clémence de César, les exilés sont plus heureux sous son règne que n’étaient les princes du sénat sous Caius ; ils ne tremblent pas, ils n’attendent pas à toute heure le glaive du centurion ; chaque vaisseau qui aborde ne les met pas dans l’effroi. Ils sont bien justes les coups de tonnerre qu’adorent même ceux qui en sont frappés ! »

Voici maintenant la palinodie du philosophe. Claude l’a rappelé de l’exil, Claude a été empoisonné, Claude est mort ; mais Sénèque ne