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on le logea à l’Olympe d’une façon si moqueuse et avec des rites si ignominieux, qu’un plaisant se prit à dire qu’on l’avait traîné au ciel au bout d’un croc, comme les condamnés au Tibre ; et Juvénal parle agréablement du « champignon d’Agrippine qui fit descendre au ciel ce vieux bonhomme à la tête tremblante et aux lèvres baveuses ». Cette apothéose me rappelle une assez bonne plaisanterie de Sénèque. Bientôt j’aurai à parler au long du philosophe, mais il est bon de voir comment il traite Claude. Tant que Claude n’avait été qu’un homme, il l’avait beaucoup respecté, et nous avons deux témoignages assez curieux de sa vénération pour l’homme et de sa raillerie pour le dieu. À la première époque, Sénèque exilé habitait la Corse, triste pays, terre barbare, où ses talens de rhéteur ne lui valurent guère de succès, où le philosophe s’ennuyait fort. Il travaillait donc de tout cœur à se faire rappeler, flattait les puissances du temps, les affranchis de César ; et Polybe, affranchi de second ou troisième degré, étant venu à perdre son frère, Sénèque lui adressa une consolation. Il faut savoir qu’une consolation, chez les anciens, se composait d’un certain nombre de phrases sonores qu’on adressait à un personnage, et où on déduisait méthodiquement et philosophiquement toutes les raisons qu’il devait avoir pour ne pas pleurer ceux qu’il pleurait. La première raison était toujours cette vieille vérité que tout homme doit mourir, vérité qui ne me semble pas bien consolante ; puis venait l’histoire de tous les grands hommes qui ont perdu père, frère, femme ou mari, afin de vous apprendre à imiter leur courage ; de tous les grands hommes qui ont été malheureux, afin que leur malheur vous consolât du vôtre. Dans une lettre fort admirée qu’adresse à Cicéron un de ses amis, il le console de la mort de sa fille par l’exemple de tous les empires qui sont tombés, de toutes les villes qui ont perdu leur gloire. « Je naviguais, dit-il, le long des côtes de Grèce, et je voyais là tous ces glorieux cadavres de villes : Athènes, Corinthe, Argos. Auprès du trépas de toutes ces cités, qu’est-ce, disais-je, que la mort d’une petite fille ! » Sénèque n’omet aucune de ces bonnes raisons, mais il en a une meilleure encore. Après avoir parlé à son cher Polybe de Scipion l’Africain, de Pompée, d’Auguste, de tous les Césars grands et petits, d’Homère et de Virgile, dont la conversation le distraira : « Je vais te montrer, dit-il, un remède, sinon plus sûr, du moins plus facile, à ta tristesse. Quand tu es chez toi, tu peux craindre l’affliction ; maintenant que tu as les yeux sur ta divinité, la douleur ne peut approcher de toi… Tant que César est maître du monde, tu ne peux te livrer ni à la douleur, ni au plaisir ; tu appartiens tout entier à