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ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

de le juger sévèrement, car la manière dont il parle de lui-même et de ses ouvrages éloigne toute pensée d’indulgence.

Pourquoi l’auteur, en écrivant Latréaumont, s’est-il abstenu de soutenir le triomphe du vice ? Pourquoi a-t-il modifié ses doctrines philosophiques ? La préface de son nouveau livre est loin de nous donner des renseignemens complets sur ce sujet important. Nous savons seulement que M. Sue, à mesure qu’il expérimentait la vie, a vu les idées absolues, qu’il avait professées jusque-là, exposées à de nombreux démentis, et qu’il a fini par reconnaître ce qu’il appelle le néant des idées absolues. Malgré sa prédilection obstinée pour les thèses philosophiques, il ne paraît pas soupçonner la différence qui sépare l’expérience de l’expérimentation, et confond, comme à plaisir, le langage des sciences physiques et celui des sciences sociales. Si nous relevons cette faute, qui semble, au premier aspect, toute vénielle, c’est qu’elle nous paraît de nature à expliquer clairement pourquoi M. Sue est si mal assuré de ses propres idées. Il est impossible, en effet, de faire quelque progrès dans une science quelconque sans avoir préalablement étudié la langue de cette science. Or, puisque M. Sue ignore complètement la langue philosophique, comment serait-il reçu à parler philosophie ? Le bégaiement de sa parole n’est que l’écho du bégaiement de sa pensée. Obscur pour lui-même, comment serait-il clair pour le lecteur ?

Malheureusement, outre ses prétentions philosophiques, M. Sue affiche encore des prétentions historiques. Il croit sincèrement avoir fait une découverte en exhumant des manuscrits de la bibliothèque royale la conspiration du chevalier de Rohan, décapité sur la place de la Bastille en 1774. À l’entendre, tous les historiens qui ont écrit sur le règne de Louis XIV se sont mépris sur le caractère de cette conspiration. Personne, avant l’auteur de Latréaumont, n’avait entrevu le mot de cette énigme. Latréaumont n’est pas seulement un roman, mais bien aussi et surtout un ouvrage historique de la plus grande nouveauté, destiné à mettre en lumière une découverte authentique, irrécusable, à compléter, pour la postérité curieuse, le récit du règne de Louis XIV. Cependant les six dernières pages du septième chapitre des Mémoires du marquis de Lafare contiennent de nombreux détails sur la conspiration du Chevalier de Rohan. Tous les personnages mis en scène par M. Sue sont indiqués par le marquis de Lafare ; le caractère de ces personnages est nettement défini ; toute leur conduite est exposée avec précision. À quoi donc se réduit la découverte de l’auteur de Latréaumont ? En vérité cette prétendue découverte est bien peu de